Collectionneur : suite…

Alain Cervantes évoque maintenant, après les débuts de sa démarche de collecteur-collectionneur, les nouveaux axes pris par la production de céramique. Ce texte relève volontairement de la vulgarisation. Il éveillera peut-être l’intérêt et la curiosité des profanes.

— Il n’était pas très valorisant de collectionner des pichets savoyards. Quoique…L’approche ethnographique est intéressante. Mais ce n’était pas tendance.    

( En photo, une œuvre de Claire Lindner exposée au Château de Menthon-Saint-Bernard par Alain Cervantes).

Naissance d’un nouveau mouvement    

Ma génération s’est rendu compte qu’un mouvement naissait.  Des artistes multimédias ont commencé à s’intéresser aux matériaux céramiques parce qu’ils sont très malléables. Beaucoup de techniciens étaient disponibles pour aider l’artiste à réaliser sa création. Cette matière permet aussi de réaliser des pierres monumentales pouvant rivaliser avec le marbre ou le bronze. Les galeries ont vu venir ce mouvement. Dans les années 2000, il y avait deux très bonnes galeries qui exposaient des céramistes comme les Girel et l’école des émailleurs. Et puis, d’un seul coup, comme les artistes contemporains sont entrés dans la partie, on a valorisé le défaut : la coulure, la pièce déstructurée. Petit à petit, on a oublié le contenant, vases, bols…On disait même «  S’il n’y a pas de vide, ce n’est pas une céramique. On va désormais de plus en plus vers la sculpture, mais tous les céramistes ne sont pas sculpteurs.

Œuvres de Maria Bosh, Anne Verdier, Patrick Crulis, Héloïse Bariol et, à droite, Aneta Regel. Photos © Jérémie Logeay.

Nouveauté, donc débat

La génération actuelle casse tous les codes. Une génération a été très bonne et est allée jusqu’au bout des émaux, même s’il reste toujours à apprendre. Une autre a essayé de la suivre en même temps qu’émergeait une troisième qui a dit « Nous, on ne tourne pas, on ne veut pas de contenant, on est des artistes. Si ça dégouline, ça nous plaît. » C’est cette tendance très déstructurée qu’on trouvait au MO.CO. Les critiques, dont Ludovic Recchia, se partagent en deux. Certains sont  restés calés sur le bel ouvrage. Pour eux, les tendances actuelles ne dureront pas. Elles sont du néo pop ou du post punk. Les autres, comme Recchia, disent que c’est plutôt un néo naturalisme, sans doute pas encore écologique.

L’écologie est de la partie

Il y a effectivement beaucoup de considérations écologiques dans ces mouvements de retour à la terre, mais les procédés ne sont pas encore adaptés. Il faut brûler des masses de bois pour les fours, ou de l’électricité. Certains se demandent même pourquoi il faut cuire la terre. La forme, les couleurs sont tellement déstructurées par les artistes qu’on commence à interroger les frontières. Il y en a qui rajoutent de la peinture, du latex, d’autres matériaux. La céramique est en recherche de limites, toujours démarquée par rapport aux autres médias. En particulier par rapport au bronze et au marbre. Les designers eux aussi investissent la céramique.

L’étiquette

La discussion emprunte alors un axe qui rejoint l’oxymore : l’hybridation s’imposerait pour rejoindre la doxa actuelle. Et puis le travail devrait porter une étiquette, «  engagé, féministe » ou autre. Sans doute parce que le public ne se fait pas confiance et ne se croit pas capable de juger si on ne l’oriente pas.

La place du collectionneur

Il ne faut pas croire que les collectionneurs font vivre les céramistes. Leurs débouchés sont la formation, la production de pièces utilitaires. Quant à nous, collectionneurs, nos concurrents directs sont les décorateurs, qui poussent les artistes vers une production toujours plus grande et colorée. Ils en ont les moyens puisqu’ils font une marge en revendant à leurs clients. Ils sont en revanche un moteur d’innovation parce qu’ils ne peuvent pas installer deux pièces identiques chez deux clients différents.

De nouveaux axes

Il faut signaler aussi la connexion entre la céramique, le luxe et la mode, une financiarisation des galeries qui entraîne l’apparition de revues liées à cet univers de belles images et de publicité.

Le tour d’horizon n’est pas terminé. La passion d’Alain Cervantes semble confiner à une forme de boulimie lucide. Talpa y reviendra sans doute.