14 jours pour aller mieux
23 février 2024Rencontre avec le réalisateur Édouard Pluvieux et le producteur Benjamin Demay pour évoquer 14 jours pour aller mieux. Un film joyeusement profond, profondément joyeux. Notons que, pendant ce temps, la Russie demande 14 jours pour déterminer la cause de la mort d’Alexeï Navalny. Peut-être faudrait-il proposer à Poutine de suivre un stage en Drôme provençale afin que lui et le monde aillent mieux.
Vous vous êtes inspirés de la réalité ?
C’est une histoire que nous avons vécue avec Maxime il y a dix ans quand sa carrière n’allait pas. Comme manager et ami, je l’ai accompagné dans un stage de développement personnel. Nous avons rencontré des gens assez accrochés au plafond mais très tendres, très touchants. D’où l’idée d’un sketch, puis d’un film nés de cette expérience vécue il y a dix ans dans la Drôme provençale.
Nous ne voulions pas réaliser une parodie mais une comédie. C’est pourquoi nous avons envoyé plus tard Édouard, le réalisateur, faire ce stage pour qu’il s’inspire de faits réels. Il ne s’agissait pas de tourner une énième comédie caricaturale sur le développement personnel. Nous ne nous moquons pas, nous rions avec les gens. Lors du stage, nous nous sommes retrouvés avec des gens qui souffrent, qui ne vont pas bien. Étonnamment nous avons beaucoup ri : il s’agit de choses tellement sérieuses que les stagiaires, le soir, entre eux, se lâchent. Ils rigolent, libèrent une énergie bienfaisante.
Votre film fait penser à Nos jours heureux de Toledano et Nakache.
Je suis assez d’accord pour dire qu’ils se sont énormément inspirés de mon travail. Je suis ravi qu’un journaliste d’investigation le remarque ( rires). Je suis d’accord, c’est un film que j’ai regardé en prépa. J’accepte cette référence comme un immense honneur. Ils font exister des personnages au sein d’un groupe, ce qui était aussi mon ambition. Chacun a son moment marquant, sa scène.
À propos de scène / cène, j’ai essayé de compter le nombre de stagiaires. Impossible.
Une douzaine.
La scène et la cène.
Oui, d’où le plan sur le buffet, avec Jésus au milieu qui coupe le pain.
Il y a du cynisme, de la provocation, de la tendresse… tout fonctionne ensemble.
Plein de personnages différents, plein de formes d’humour. Certains sont amusants par leur physique, d’autres par le dialogue, par le jeu . Cette variété évite de produire un humour clivant. Certains vont rire au cynisme de Bernard Farcy, d’autres au jeu ultra précis et au rythme de Zabou, à la méchanceté cynique de Maxime au début du film…
On peut retenir comme un message délivré par votre film que l’on est ce que l’on pense que les autres sont.
C’est effectivement ce que nous avons appris pendant le stage ; une scène le montre. On voit le monde par notre propre prisme.
Pour donner un peu de profondeur à ce monde de brutes, votre film rejoint la dialectique du maître et de l’esclave. Zabou semble parfois abuser de son autorité mais elle n’est rien sans les autres…qui ont besoin d’elle.
Le boulot qui s’effectue lors de ces stages est très bienveillant. On ne te dit pas ce que tu as envie d’entendre. Il s’agit de secouer chez toi des choses inconscientes qui, en fin de compte, sont censées te faire du bien. Le personnage de Zabou n’existe que parce qu’elle est utile aux autres. Nous nous sommes vraiment inspirés de la réalité, des gens que nous avons rencontrés, de leurs traits de caractères, de structures de stagiaires types.
Même pour les vêtements.
Il y a eu un gros travail sur les fringues avec notre cheffe costumière pour donner ce côté réaliste. Nous voulions montrer que les stagiares, c’est la société civile, toi, moi… Ce ne sont plus les hyppies des années 70.
L’un des volets du film est la libération de la langue. Dire la vérité, aller au bout de ses phrases et de sa pensée. Votre « Jésus » qui ne terminait jamais ses phrases se libère au point qu’il devient inarrêtable, parle de périphrases, d’oxymores…
Chacun voit son film. Vos commentaires le montrent. L’évolution de Jésus est la transposition factuelle d’un problème de fond. La clairvoyance du couple qui dirige le stage ? Ce n’est pas un super pouvoir. Ils ont une grande empathie, beaucoup d’expérience pour voir chez les autres, ce qui pourrait passer pour une forme de magie. En revanche, ils sont impressionnants. Leur capacité d’observation est très poussée.
Mais, à l’opposé, vous sombrez dans la facilité avec Chantal Lauby et Michel Boujenah. Ils sont tellement touchants…
…qu’il y a juste à les filmer !(rires). Ils sont des êtres de lumière. Benjamin et Maxime entretiennent avec eux une relation particulière depuis des années. Michel parce qu’il a pris Maxime sous son aile en lui proposant de venir au festival de Ramatuel… Chantal avait contacté Maxime pour lui dire qu’elle appréciait son travail. Cette sincérité bien réelle dans la vie rejaillit dans le film.
Chantal Lauby renvoie à l’Astérix de Chabat, au personnage qui apparaît, disparaît et aux moments ou ça capte ou ça ne capte pas avec Isabelle Nanty. Votre Maxime dont le téléphone ne capte pas, l’image bloquée pour évoquer la batterie de la voiture qui est à plat…
Je suis flatté que Chabat lui aussi se soit inspiré de mon travail !
Qu’est-ce que vous avez appris pendant votre stage ?
Je ressemble au personnage de Maxime dans le film. Je n’aime pas qu’on vienne lire en moi et qu’on m’aide. J’ai vécu le stage à distance, comme observateur. J’ai cependant appris à réfléchir sur moi-même et à donner de l’importance au parler vrai. Beaucoup de problèmes viennent de ce qu’on ne dit pas, dans un couple, dans la famille, entre amis, dans la société. Ce qui n’est pas dit finit par exploser. J’ai appris à parler plus vrai que je ne le faisais avant.
Le cinéma est une bonne thérapie ?
La seule pour moi.
Le personnage de Max finit par accepter ce qu’il est , là d’où il vient.
Le bonheur est souvent sous notre nez.
Bon, Talpa se caractérisant par son esprit de contradiction, on notera que le fait d’avoir un grand nez ne facilite pas l’accès au boheur : Cyrano. Presque impossible de rendre la totalité de cette conversation. On y évoque encore les références amusantes à Jacques Chirac et aux lentilles que l’on ne consommera plus de la même façon après avoir vu « 14 jours pour aller mieux ».
Un film à voir en couple, en famille, avec des amis pour en parler. Seul si vous êtes schizophrène.