Moi aussi

 Moi aussi plutôt que Metoo. Un collège de campagne qu’un chef d’établissement de passage appellera plus tard  « Le collège du bonheur. » Cette toute jeune élève de sixième pétillait d’intelligence, irradiait la lumière. Vive, curieuse, généreuse, elle illuminait de sa présence chaque heure de cours.

Un an plus tard je la vois effondrée au sol dans un couloir pendant les heures d’enseignement. Seule. Méconnaissable.  À plusieurs reprises, jusqu’au jour où je lui dis : «  Je ne suis peut-être pas la bonne personne, mais si tu as besoin d’aide n’hésite pas. Je suis là. »

Je ne savais pas mais je sentais que je ne pouvais pas être la bonne personne malgré la complicité établie lors de son année de sixième. Quelques mois plus tard, nous sommes une douzaine  de cet établissement à participer à un stage traitant des relations entre enseignants et entre les adultes et les collégiens. Nous en arrivons à un jeu de rôles. La formatrice nous demande de proposer un cas à traiter. Silence total des collègues. J’avance le cas de cette jeune fille. Entre temps ont couru des bruits : attouchements de la part d’un membre de la famille hébergé par ses parents. Elle s’est tue jusqu’au moment où l’oncle s’en est pris à sa jeune sœur.

Nous décidons de traiter de ce cas. Les rôles sont distribués mais qui va incarner X. ? Nous sommes deux hommes pour une dizaine de femmes. Devant les dérobades je me propose. Les échanges commencent. Aucun souvenir de leur contenu parce que je suis tellement X que je suis submergé au point de demander que l’on arrête l’exercice.

Ne pas vouloir voir

Une collègue dira qu’elle avait bien lu des choses étranges dans une rédaction mais qu’elle n’aurait pas imaginé…Une autre en a parlé a un ami psychologue. Celui-ci lui aurait répondu que si X. ne lui demandait pas directement son aide, elle ne devait pas intervenir.

Être soi pour être l’autre

Je n’ai jamais été Charlie, ni Metoo parce que je ne suis pas un poisson s’orientant au gré des courants et de la nourriture disponible. Ce jour-là cependant  je pense avoir été un peu X. à laquelle je pense régulièrement en espérant qu’elle retrouvé sa lumière.

Photo prise lors de la représentation d’une pièce de Michel Vinaver au Tamco de Genève, mise en scène de Pierre Dubey.