Nous

Nous

8 janvier 2025 1 Par Paul Rassat

En 2017, Jacques Lévy et Romain Lajarge rendaient compte de leur étude devant les élus d’Annecy.  C’était juste avant la fusion des six communes. Les deux universitaires commandités par la ville ont pointé, dans leur restitution orale, quelques particularités qui ne figurent pas dans leur rapport écrit. Pour les Annéciens, le monde s’arrête aux rives du lac. L’Histoire du territoire, entre l’époque ancienne et l’actuelle, n’a pas été écrite. Il y aurait comme un trou, un vide qui rend difficile la communication d’une identité aux nouveaux habitants. Et, enfin, Jacques Lévy et Romain Lajarge pointaient l’absence d’un NOUS qui représente réellement la population. Il y aurait en revanche plusieurs Nous en fonction de cercles d’intérêts particuliers.

Sacrifier la vie à la fonction

Le grand mouvement artistique et culturel de l’après guerre, cette éducation populaire ambitieuse et concrète,  se serait donc dilué au point de disparaître. Ce qui en est né , cinéma d’animation, théâtre… est maintenant en grande partie sacrifié à l’efficacité économique. Pour le reste, le sport, le loisir, le tourisme et l’événementiel  et la tendance ont pris le relais. Certains événements survivent, Descente des Alpages, Fête du Lac et autres, qui semblent avoir essentiellement une fonction de commémoration davantage qu’une dimension réellement vivante.

On a toujours besoin d’un plus petit que soi

La question de ce NOUS est particulièrement intéressante. René Girard a montré, avec la théorie du bouc émissaire, qu’un groupe social se construit presque toujours en bannissant ou en sacrifiant certains de ses éléments, ou alors en se fermant aux étrangers. Maupassant aborde la question dans sa nouvelle Coco. Si personne n’a dans la société un statut inférieur au mien, comment me rassurer, comment survivre ? Je m’emploierai donc à mépriser, rejeter certains membres de la société ou bien celles et ceux qui voudraient y entrer afin de m’assurer un statut supérieur à eux. Dans la nouvelle de Maupassant, Zidore est trop simple d’esprit pour réaliser qu’en sacrifiant l’animal inutile duquel il a la charge il se sacrifie lui-même puisqu’il ne sert plus à rien.

Boulots de merde

La tradition, les difficultés de la vie en montagne expliqueraient le caractère volontiers conservateur du Savoyard. C’est oublier que plus de cent mille Savoyards vont chaque jour travailler en Suisse. Comment accepter ce statut de dépendance sans en créer un qui soit inférieur au sien ? Celui de l’étranger. Extrapolons. Si on limite drastiquement la venue d’étrangers en France, qui acceptera d’y occuper les « boulots de merde ? » Il faudra que des Français de souche s’y collent. Et peut-être revaloriser ces boulots de merde, ce qui sera un problème économique de taille.

Nous ou bien on ?

L’étranger, le fonctionnaire ont pour utilité principale ou annexe de souder la société contre eux. À trop vouloir leur taper dessus et les faire disparaître, la cohésion sociale risque d’en prendre un coup. Les formules creuses comme «  faire société, le vivre ensemble, le lien social… » n’y suffiront plus. Le «  Nous » sera définitivement remplacé par « On », neutre, anonyme, indéfini. Le Nous est inclusif, le on est quelconque. La ville d’Annecy serait-elle aux mains de « on »?