Tamia Baudouin

Tamia Baudouin

13 février 2025 0 Par Paul Rassat

Conversation avec Tamia Baudouin de qui le dessin fait vivre pleinement et poétiquement  Les mémoires de la Shoah.

Comment vous y êtes-vous prise ? Votre dessin crée une sorte de distanciation qui ne coupe pas de la réalité évoquée. Il relie. C’est le cas dans tout le livre, plus particulièrement à certains passages, comme pour le témoignage d’Abraham.

Les récits réalistes ne m’intéressent pas. Je suis davantage attirée par l’imaginaire. Mais là, il y a quelque chose de tellement monstrueux ! Presque hors de ce monde. Irréel. Il était donc pour moi plus facile de rentrer dans le récit en passant par l’art. Nous partons de témoignages qui renvoient à des faits réels, mais c’est si douloureux que ça en devient presque inaccessible, du domaine de l’indicible. J’aimerais faire des bandes dessinées qui parlent à l’âme, même si ça fait un peu prétentieux. Les personnes desquelles nous faisons vivre les témoignages ont été en contact avec ce qu’il y a de plus monstrueux chez l’être humain, elles en ont été les victimes. Et pourtant, il y a encore tellement de choses monstrueuses qui arrivent aujourd’hui.

Oui, on a le choix.

Mais il y avait dans ce qu’ont subi  les personnes qui témoignent une volonté de détruire si profonde !

Comment portez-vous le poids de ces témoignages, du travail que vous avez réalisé pour les transmettre ?

Je ne suis pas seule. C’est plus facile à trois. Annick Cojean  est incroyablement douée pour parler de l’album. Les articles sur lesquels nous nous sommes appuyées sont ceux qui l’ont le plus marquée dans sa carrière de journaliste. J’apporte ma maigre contribution.

C’est tout de même vous qui faites vivre les paroles par votre dessin, par la retranscription.

C’est vrai, mais Annick est plus à même de porter l’album vers le public. En tout cas le travail que j’ai effectué pour réaliser l’album est en plein accord avec la personne que je suis. J’ai  aussi eu la chance que tout ce que proposait Théa Rojzman, la scénariste, que tous ses choix m’aient semblé naturels et intelligents. J’ai vraiment apprécié son travail d’adaptation. C’est la première fois que je me suis sentie si bien accompagnée par quelqu’un que j’ai eu l’impression de partager la même sensibilité. Ce travail a été un bonheur.

Théa répète que ce n’est pas une BD historique. Elle parle du traumatisme lié à la Shoah et nous a permis d’apporter un regard empathique. J’ai appris que le traumatisme se transmettait de génération en génération , que les parents en aient parlé ou pas. Les retours de nos lecteurs sont très touchants. On travaille pour soi, mais c’est mieux quand il y a cette qualité d’échange.

J’hésitais à utiliser le mot « poésie » à propos de votre livre.

C’était notre parti pris, oui. Passer par la métaphore. Ce registre nous a semblé adapté à notre intention. Nous aurions pu pousser encore plus loin cette dimension mais ce livre est destiné au grand public. Il fallait qu’il soit accessible au plus grand nombre. Le choix de l’arbre qui revient dans de nombreuses pages ? C’est le choix D’Annick Cojean. Elle parle des bourgeons sur les branches cassées et ça a été le point de départ de l’adaptation de Théa : la vie continue malgré tout. L’arbre, c’est à la fois les racines, la branche et les bourgeons. La forêt est aussi un élément tellement puissant dans l’imaginaire collectif !

Si ce livre est le premier qui permet à Tamia Baudouin de s’exprimer pleinement, il faudra suivre le développement prometteur de son travail.