La spiritualité

La spiritualité

16 février 2025 0 Par Paul Rassat

Conversation à l’Abbaye de Tamié avec Frère Bruno. Il est question de la spiritualité et de la foi.

Les définitions religieuse et philosophique de la spiritualité oublient le corps, ce qui est matériel.

La liturgie est pourtant le lieu où le corps participe totalement. Chez nous, le chant, en particulier, a une place importante. Il y a aussi les postures, la vue, les odeurs : c’est tout un ensemble !

À Tamié la présence de la matière est impressionnante, avec le bois, la pierre, les vitraux liés à la lumière, l’eau… Tous les éléments sont là.

Tout ceci participe pleinement à la spiritualité comme signifiant de la consistance du monde, de la réalité de la création.

Beaucoup confondent la spiritualité et la foi.

Elles ne sont pas séparables chez nous, dans le sens où la spiritualité chrétienne est une spiritualité de la rencontre. Forcément, ça suppose la foi. Celle-ci n’est pas obligatoirement une foi religieuse explicitée mais elle est, pour moi, inhérente à l’existence humaine. Le premier acte de foi que je repère-nous pourrions affiner-est la prise de parole. Pour entrer dans le jeu du langage, l’enfant…

…qui est infans, celui qui ne parle pas.

…est sur le chemin de la parole. C’est un acte de foi : il suppose que j’ai bien un vis-à-vis en face de moi, auquel je peux m’adresser. Il est séparé de moi mais je peux entrer en contact avec cet autre. Je vais lui adresser la parole.

François de Sales a instauré ce principe de s’adresser personnellement à un interlocuteur précis plutôt que de prêcher de manière uniforme.

Ça se faisait déjà, mais pas sur la même échelle. Le corpus des œuvres de Saint Bernard comprend un grand ensemble de lettres. Lorsqu’on lit l’Évangile, que fait principalement Jésus Christ sinon s’adresser aux gens ?

Nos responsables politiques aussi ; le résultat n’est pas le même ( rires).

Frère Bruno évoque alors un article écrit par Marc-François Lacan pour Lumière & Vie ( n° 198,pp 63-80). L’auteur étudie  le rapprochement entre l’exégèse et la psychanalyse. Dans la rencontre avec l’autre, il faut jouir de sa présence.. «  Mais qu’est-ce donc que jouir ?…La pensée lacanienne aide à situer la jouissance, dans son lien avec la vérité et le réel. Elle a pour fruit la rencontre qui découvre la vérité de l’autre et préserve de la fusion…ce qu’il faut c’est jouir de la vérité et..rechercher cela, ce n’est pas désirer combler un manque, mais rester ouvert au don qui peut être fait… »

Je ne peux pas concevoir une vie spirituelle qui ne comporte pas une rencontre et un échange de paroles.

Pour vous, la spiritualité et la foi sont liées, et la foi, étymologiquement, implique la confiance. En quoi avez-vous confiance ? Ou en qui ?

J’ai foi en celui que je ne connais pas mais qui s’adresse à moi depuis fort longtemps.

Vous n’êtes pas schizophrène ?

(rires). Quand je dis «  Qui s’adresse à moi », c’est vraiment une interprétation, assumée.

Parce que la définition est impossible ?

On peut éventuellement le raconter, mais pas le figer. J’ai repéré dans mon histoire quelques moments caractérisés par l’imprévu. D’un seul coup, tout bascule. Le moment de la foi est très précis pour moi, il est lié à un contexte humain, à un voyage en famille, à une façon d’entrer dans le jeu familial, mais à ma façon. J’ai eu le sentiment qu’une invitation m’était faite, à laquelle je ne pouvais pas dire non.

Inévitablement, l’esprit espiègle, pour jouer/jouir, fera le rapprochement avec  le « Nous lui avons fait une proposition qu’il ne pouvait pas refuser » de la mafia.

Je n’avais pas cœur à la refuser ! Mais j’étais libre de l’accepter ou non. Tout s’est passé en moi, personne n’a rien vu mais ma vie a été complètement changée. Il y a eu un avant et un après. Tout s’est passé en deux ou trois minutes.

Vous venez de dire « J’étais libre. » À l’Abbaye il y a beaucoup de contraintes, mais elles semblent ouvrir à une forme de liberté.

Nos horaires en communauté sont là pour deux choses : ils  nous rappellent la nécessité d’un soutien mutuel et nous soutiennent personnellement. En même temps, une grande liberté personnelle est laissée à chacun.

La foi en Dieu permettrait d’être de meilleurs humains.

Ça devrait. On patauge !…Mais je crois que ça peut changer !