Le garçon

Le garçon

5 mars 2025 0 Par Paul Rassat

Rencontre avec Zabou et Florent Vassault qui ont co-réalisé Le garçon. Ce film présente l’avantage certain d’échapper à toute volonté d’en faire un pitch, un synopsis ou un résumé. Vous n’en saurez pas davantage à la fin de cet article mais vous aurez peut-être partagé l’enthousiasme des deux réalisateurs rencontrés au Pathé d’Annecy. Sortie nationale à ne pas rater, le 26 mars 2025.

Comment présentez-vous votre film au public ?

Z — N’importe comment ! Ça dépend du moment, du feeling. Pour l’instant il y a eu très peu de projections, pas d’article. Le public ne sait rien, comme nous au départ. C’est un sentiment que je trouve vertigineux mais absolument délicieux et intéressant.

C’est comme en amour.

Évidemment ! Il y a bien sûr le sentiment de ce qu’on va faire mais pas de surdéfinition point par point.

Beaucoup de choses ont dû se décider pendant le montage.

Quasiment tout ; même l’histoire. Il y a trois films. Je fais des bouts de fiction, Florent réalise un documentaire…

L— Qui n’est pas destiné à exister par lui-même

Tout est tellement imbriqué que c’est un truc à l’infini.

Z — Et quand on a ce matériau, il y a le film qui se fait.

F — Le film raconte ça aussi, le film qui se fabrique.

Z — Mais le film qui raconte le film qui se fabrique, on ne savait pas qu’on allait le faire. C’est venu pendant le montage. L’intention de départ était de se laisser faire ( Expression intéressante parce qu’ambiguë). Les photos comme déclencheur ? C’était une idée qui me trottait dans la tête, l’envie de se lancer dans le vide. Le documentaire m’a toujours intéressée, d’où ces passages de textes comme des témoins entre la fiction et le documentaire. Faire entrer du documentaire dans la fiction peut curieusement accélérer le sentiment. Le documentaire est empreint de la personne qui parle, de l’endroit où elle est, ça raccourcit…

Pendant le film on se dit : « Cette dame, je la connais, c’est une actrice ? »

F — Ça sème le doute même dans le documentaire ?

Le documentaire et la fiction s’entrecroisent en permanence, on ne sait plus très bien.

Et pourtant les gens que je montre sont ceux que je croise sur mon chemin, ce ne sont pas des comédiens. Les photos ? J’en ai trouvé trois ou quatre lots dans des brocantes.

Z — On ne savait pas encore quelle piste on allait suivre. Et lorsqu’il me filme en train de les découvrir, je commence à faire partie de son documentaire.

F — Instinctivement, cette première scène que je filme est comme du making off, comme si j’avais filmé le casting.

Z — Isabelle Nanty et François Berléand sont des acteurs que j’aime passionnément, des gens qui sont tout de suite partants pour des aventures artistiques. Et ils sont des acteurs connus ! C’est ce qu’il fallait pour signifier les moments de fiction.

On entend dans le film : « Les témoins sont des auteurs. » Cette affirmation donne de la réalité une approche vertigineuse.

Oui, et en même temps pas tant que ça. Dans les salles où le public n’ a pas une approche intellectuelle, il n’a aucun problème, il se laisse faire. Les gens que Laurent a croisés sont souvent des poètes qui amènent avec eux du cœur. Même pour eux, il n’y a rien eu de compliqué.

F — C’est le temps consacré à l’écoute qui donne ce résultat. Dans le documentaire, on moissonne, on récolte de la parole et on fait ensuite émerger le meilleur de ce qu’on ramasse. C’est un peu l’inverse de la fiction où tout est cadré. Les gens que je rencontre ne savent pas vraiment ce que je recherche. Ils pensent que j’attends qu’ils me disent qui sont ces gens sur les photos. Il y a un peu de ça, mais j’attends aussi qu’il se passe quelque chose dans notre rencontre.

Z — Il ne faut pas oublier que le montage fait que l’on entend les choses d’une certaine manière. Le travail a été de savoir ce qui résonne avec quoi, à quel moment. La parole n’existe pas avec la même force suivant que vous la mettez ici ou là. La dame sur le banc dit quelque chose et Florence Muller la comédienne, pendant le déjeuner dit la même chose. Ce sont en permanence des codes donnés au spectateur.

F — Le spectateur se dit : « Qu’est ce que c’est que ces textes que j’ai déjà entendus ? ».

Vous faites le tour de tous les discours et de toutes les situations possibles, jusqu’à se demander qui on voit lorsqu’on se regarde dans un miroir.

Est-ce qu’on se connaît ? Est-ce qu’on connaît l’autre, ses proches, ses intimes ? Qu’est-ce qu’on retient de la vie de Jacques, cet homme que montre notre film ? Sa vie se résume-t-elle à ce qu’on raconte de lui dans le ce film ?

Z — Est-ce qu’on est plus vrai lorsque l’on est pris en photo ou bien lorsque l’on est imaginé par les autres ?

Vous essayez de voir tous les possibles.

Ce jeune homme de la photo ne parle que de l’avenir, alors que le film ne parle que de son passé.

La richesse spontanée de l’échange est telle qu’il faut en réduire le fil, un peu comme au montage d’un film. Il est question de ce moment de douceur vécu pendant la projection, contrastant avec l’immédiateté si brutale de l’actualité.

« Le garçon ». Pourquoi ce titre ?

Z — Parce qu’il est neutre.

D’après l’étymologie, garçon a signifié vagabond, fugitif, banni, malheureux.

C’est incroyable ! Banni, malheureux !

Retour à « l’enquête ».

F — Ce qui me plaisait beaucoup, c’était le fait qu’il y ait une géographie assez diverse, donc l’idée d’un voyage..

Puisqu’il a déjà été question de champ(chant ?) des possibles, de la rencontre entre le titre et l’étymologie, allons un peu plus loin du côté du voyage et des correspondances.

Vous connaissez peut-être ce livre de Paul Watzlawick, La réalité de la réalité.

Z— Vous savez, c’est mon livre de chevet ! C’est une pure merveille.

On lit en 4° de couverture : « De toutes les illusions, la plus périlleuse consiste à penser qu’il n’existe qu’une seule réalité… » Les différentes versions de la réalité sont « toutes l’effet de la communication. »

F — Cette histoire des mille possibles, c’est exactement le projet. Pour Zabou à travers sa fiction, et moi avec mon documentaire, il s’agissait de faire exister ce garçon à travers le regard des autres. Il va se charger de mille vies possibles. Finalement, les gens se racontent eux-mêmes à partir de ces photos. Tout se télescope.

Z — Il n’y a pas qu’une réalité puisque je me trompe de personnage. C’est le jeune frère qui, en grandissant, a écrit au dos des photos qui le montrent tout jeune. Je le voyais trop jeune pour écrire et n’ai pas pensé à ce qu’il le fasse plus trd. Un personnage va jusqu’à demander : « C’est qui, moi ? » et « C’est peut-être lui, moi ! » Ce n’est qu’en voyant les rushes que je comprends !

Un jeune mec a dit : « La fiction est là pour sauver le réel ! » L’art comprend une dimension psy.

L’un de vos témoins dit : « Ce train-là, je ne l’ai pas pris.

C’est peut-être le moment de tisser d’autres croisements de possibles avec ces extraits d’interviews de François Berléand.

« J’étais un gamin fragilisé. Un élève cobaye de la méthode globale [d’apprentissage de la lecture]. Un gaucher contrarié. Dyslexique, dysorthographique… À 10 ans, je voyais déjà un psychologue. Un soir de dîner arrosé, mon père me lance : « Toi, de toute façon, t’es le fils de l’homme invisible ». Les invités rient. Moi, ça fait tilt dans ma tête. Je regarde le feuilleton à la télé, je sais que l’homme invisible existe. Je file à la salle de bain, je me regarde dans le miroir. Et je me vois. Sans doute parce que mes parents ont fabriqué des glaces spéciales ? » François Berléand, Le Monde , septembre 2016.

 Dans une autre interview, François Berléand cite une référence importante pour lui, La Côte sauvage de Jean-René Huguenin. C’est le roman « du dernier été, de l’écoulement inexorable du temps, de la perte et de la mort qu’il préfigure. Il apparaît comme le dernier moment heureux que les jeunes héros connaîtront, comme le dernier souffle d’une époque révolue où régnait l’impulsivité joyeuse de l’enfance et de l’adolescence. .. les meilleurs moments de ma vie , c’étaient les moments simples (…) J’ai bêtement refusé la vie; j’avais peur de rater autre chose…Mais quoi ?… De ces journées-là.. il n’épuisa jamais toute la saveur . » ( Wikipédia pour réveiller une lecture personnelle mais trop lointaine du roman).

L’intérêt et la force du film, c’est qu’il se construit au fur et à mesure, il vit presque de lui-même.

F — L’idée du projet était de mélanger des formes pour donner quelque chose sur quoi on n’a pas vraiment prise.

Z — C’est bien que ça échappe. Mais en même temps le film nous ressemble : on ne fait que ce que l’on est. En vrai, on fait toujours la même chose. Nous n’avions pas prévu de nous filmer nous-mêmes, et puis c’est devenu une évidence.

F — Avec cet enjeu supplémentaire : « Est-ce que nous allons arriver à faire ce film que vous êtes en train de regarder ? »

Au début, on entend cette phrase : « Chaque vie est une aventure qui mérite d’être racontée. »

Z — C’était le vrai pari : prendre quelqu’un au hasard et on raconte son histoire. Il y a forcément une histoire. La façon dont nous la racontons parle de nous.

F — Je n’aurais jamais commencé un film en me disant que nous parlerions de ces questions existentielles. Ça se fait malgré nous.

Z — En réalité, on ne raconte qu’un seul truc : l’homme. Ce qui importe, c’est la façon de le raconter. Quel que soit le film, le genre du film, on raconte toujours l’Homme. Que ça !

Il y a une forme d’humour dans le film, à passer d’un discours profond à l’irritation d’avoir oublié les bouteilles de vin pour le déjeuner. On se surprend à retenir la petite chouette dans un bac à fleurs, la sculpture du chien au bord de la piscine, le dos de cabillaud au menu du jour à 15 euros 50…Et puis on cherche à retrouver une personne alors qu’on se trouve dans une maison qui pourrait passer pour le musée du Débarquement. On passe sans arrêt d’un niveau à un autre.

Cette conversation est une aventure, comme le film de Zabou et Florent. Il a été quetion, à un moment, de nostalgie.

La distribution comprend Isabelle Nanty et François Berléand. Elle est aussi une distribution de souvenirs, de voyages dans le passé. Les photos argentiques y sont propices. Dans le labo de la mémoire, on passe du bain de révélateur au…bain d’arrêt ? Pas vraiment ; il n’y a pas d’arrêt, la mémoire tourne sans cesse. Le temps d’exposition est suffisamment long pour donner la profondeur de champ nécessaire.

Peut-être une conclusion ? Cette phrase de Jacques A. Bertrand : « Il faut faire confiance aux gens. À qui d’autre pourrions-nous faire confiance ? »