Genís Rigol

Genís Rigol

12 avril 2025 0 Par Paul Rassat

Après avoir éprouvé le plus grand intérêt à la lecture de Brunilda à La Plata, Talpa a éprouvé celui d’en discuter avec son auteur, Genís Rigol. (Le dessin est de G. Rigol :autoportrait?)

Votre livre est comme un OVNI. Comment est née l’idée qu’il porte ?

Elle vient d’un rêve que j’ai fait en juillet 2019. Vous savez, il est difficile de se souvenir d’un rêve. La mémoire nous joue des tours. Mais en revanche les sensations et les émotions sont demeurées très claires, contrairement à l’histoire dont j’ai gardé la notion de partage avec beaucoup de personnages, la dimension amoureuse.

Le personnage principal, c’est vous ?

Oui ! C’est moi en 2019 ! Mais j’ai donné au personnage le nom d’un ami de qui j’aime beaucoup la personnalité.

Très vite on se dit qu’avec la forme d’une pièce de théâtre il y a aussi la métaphore de la vie.

Un petit peu, peut-être. Même si ce n’était pas clair dans mon esprit. Je viens d’en parler avec un ami qui a établi, lui aussi, des connections que je n’avais pas vues. Pour moi, tout reposait essentiellement sur les émotions que j’ai vécues pendant ce rêve duquel je me suis réveillé très heureux. C’était un rêve très agréable et très drôle. Quand je l’ai utilisé comme base de travail, j’y ai placé des choses un peu plus personnelles. Au départ, le personnage du dramaturge n’existait pas.

Mais la forme théâtrale était déjà présente ?

Je pense que oui. Je suis originaire d’une ville catalane, à 30 kilomètres de Barcelone. Chaque année on reconstitue à Montserrat la Passion du Christ. Mon enfance a baigné dans cette scénographie qui est vraisemblablement revenue dans ce rêve.

Je ne sais même plus si c’est dans le livre ou bien si c’est moi qui l’ai pensé : « Se construire en écrivant interdit d’abandonner l’écriture, même si l’auteur est mauvais. » Il est difficile d’abandonner ce avec quoi on s’est construit.

Ceci rejoint ce qui connecte mes propres émotions avec la création artistique. Parfois j’ai l’impression de ne pas être capable de produire quelque chose qui soit digne de mes espérances ; et en même temps, il y a toujours la nécessité de faire quelque chose de nouveau. C’est en contradiction avec l’expérience accumulée au fil des années et avec mon identité. Quand tu commences, tu es tout à la joie de la création, avec une forme de naïveté. Les choses deviennent différentes ensuite.

On rejoint peut-être ici les questions d’identité et d’authenticité de celui qui crée. Comment garder l’élan, le jeu des débuts sans sombrer dans des recettes ?

C’est pourquoi il y a deux formes de graphismes différents dans mon livre. L’une, beaucoup plus détaillée correspond à la genèse, à l’esprit des personnages. Ils y sont davantage en relation avec la société. L’autre les met en relation avec l’art.

Votre dramaturge est obligé de lâcher prise en cours de route, de laisser libres ses personnages, tout en restant à l’intérieur de l’œuvre. C’est un équilibre à trouver.

Oui. Parler de ça, c’est pour moi un traitement, une thérapeutique. Mon auteur essaye d’abord de faire quelque chose de sophistiqué avant de se montrer tel qu’il est.

Votre livre est passionnant parce que, comme l’un de vos personnages, le lecteur ne comprend pas tout. Peut-être comme vous n’avez pas tout compris de votre rêve.

Avant que cette dame dise : « Je dois reconnaître que je suis toujours finalement surprise par quelque chose que je ne suis pas sûre de comprendre pleinement. C’est beau. » le dramaturge dit à peu près la même chose de son travail à elle. Il l’admire parce qu’une partie échappe à la compréhension et lui donne une complexité qui rend l’ensemble encore plus réel. C’est ce que je ressens avec les auteurs que j’aime. C’est mieux que quand tout est expliqué. C’est très clair avec la poésie. Je cite dans la BD un poème d’un auteur catalan, Casasses. Pour moi, certaines parties en sont très claires, d’autres complètement mystérieuses ; je ne les comprends pas du tout. Mais c’est la combinaison de l’ensemble qui fait que le poème m’appelle.

Entre autres curiosités intéressantes, vous présentez une Pyramide de Virtuosisme.

Elle est inspirée de Saul Steinberg qui a été un architecte et un illustrateur très spécial et de son livre Le labyrinthe. Elle est en relation avec ce que j’ai pu être lorsque j’ai appris à dessiner. C’est une représentation de la façon dont l’artiste se voit lui-même.

L’écart entre se qui se passe et ce qu’on perçoit est très important. Comme ce que montre Guy Delisle dans Pour une fraction de seconde.

J’ai justement le livre d’Eadweard Muybridge, The Human Figure in Motion dont s’inspire le livre de Guy Delisle.

Le monde sous le sabot d’un cheval. G. Rigol à gauche, Delisle/Muybridge à droite

La conversation se poursuit. Genís Rigol évoque son travail en relation avec le cinéma d’animation. Il est d’ailleurs déjà venu au Festival d’Annecy. Sa préoccupation principale ? Rester connecté à lui-même à travers différents mediums. Il  lui reste « plein de choses » à faire ! »