Eux,les gens, ils.

Eux,les gens, ils.

11 juin 2025 0 Par Paul Rassat

A — Eux, les gens, ils.

B — Les gens, ils quoi ?

A — Ben, ils. L’enfer c’est les gens. C’est eux.

B — Tu te rends compte, quand même, que tu fais partie des gens.

A — Pas d’eux.

B — Les gens, c’est générique, par définition. Alors tu en fais partie, que tu le veuilles ou non. Quand les autres disent « Les gens », ils t’incluent.

A — Sans mon accord. Les gens, ils.

B— Ils quoi ?

A — Les gens, c’est les gens. Ils n’en ont pas conscience, alors ils font n’importe quoi.

B — Comme quoi ?

A — Justement, comme c’est n’importe quoi, tu peux pas dire ce que c’est . Ça échappe.

B — Et qu’est-ce qui ne serait pas n’importe quoi ?

A — Ce que les gens ne font pas.

B — Comme quoi ?

A — Je ne sais pas puisqu’ils ne le font pas.

B — Si tu trouves que les gens, ils, tu n’as qu’à vivre seul, sans les gens.

A — Pas possible. S’il n’y avait pas les gens, je ne pourrais pas ne pas faire partie d’eux, et ne faisant pas partie d’eux, je ne saurais pas ce qui me différencie.

B — Tu n’en aurais pas besoin, puisque tu vivrais seul.

A — Seul, seul, c’est vite dit. Il y a seul et seul. Soit tu vis à l’écart, soit tu es vraiment seul. Si tu vis à l’écart, tu sais que les autres sont là. Ou un peu plus loin. Même si tu les vois pas, tu sais qu’ils sont capables de faire n’importe quoi.

B — Ils font n’importe quoi ou ils sont susceptibles de faire n’importe quoi ?

A — L’un ou l’autre.

B — Mais toi aussi, tu es susceptible de faire n’importe quoi.

A — Non, moi, je me connais. C’est d’ailleurs pour ça que je peux me confier à toi, qui es la moitié de moi.

B — Tu ne m’as pourtant pas demandé mon accord pour être une partie de toi. Et si c’était toi, la moitié de moi ?

A — Qu’est-ce que ça changerait ?

B — Il s’agit de savoir quelle serait la meilleure moitié.

A — Une moitié, c’est une moitié. L’une n’est pas meilleure que l’autre.

B — C’est ce que les gens disent ?

A — Ah, n’essaye pas de me piéger avec les gens et ce qu’ils disent. Ils disent n’importe quoi.

B — Ils disent n’importe quoi ou ils font n’importe quoi ?

A — Les gens, c’est les gens. En entier. Avec ce qu’ils disent et ce qu’ils font.

B — Mais il arrive qu’on ne fasse pas ce qu’on dit et inversement.

A — Les gens ne peuvent pas être l’inverse des gens.

B — Je sais. Les gens, ils. Ils sont les gens et l’inverse des gens, toi y compris.

A — Et toi aussi.

B — Les gens nous, alors. Tu as changé d’avis ?

A — Non, je n’ai pas d’avis. Les gens, je m’en fous !

C — Tu ne peux pas te foutre des gens ! C’est trop facile, parce qu’il y a gens et gens et que tu ne fais même pas l’effort de trier. Il y a les mauvaises gens, les gens bien, les vraies gens et les autres.

A — Est-ce que les autres sont aussi des gens, d’après toi ?

C — Des jean-foutre ou pas. Va savoir. Ce qui est intéressant avec les gens, c’est qu’ils sont masculin ou féminin selon les cas. Tu dis « les vraies gens », vraies avec un « e », et des gens « bons », avec bons au masculin. Devant, l’adjectif est masculin, derrière, il est masculin. C’est inclusif en respectant le genre et la place de chacun. Le féminin d’abord, le masculin après.

B — C’est pas un peu compliqué ?

C — Les gens sont compliqués, c’est ce qui en fait l’intérêt. Je dirais même complexes plutôt que compliqué. C’est ce qui en fait l’intérêt.

B — Tu l’as déjà dit.

C — Il m’arrive de me répéter quand c’est complexe et intéressant. J’aime bien, je savoure. Je savoure les gens. Il y en a qui disent « Je me pose la question de savoir si » au lieu de « Je me demande ». C’est plus long, ça sert à rien, mais ça leur permet d’exister un tout petit peu plus. Ils circonvolutionnent pour meubler leur inexistence. C’est touchant.

A — Moi, ça m’ennuie, pour ne pas dire que ça m’emmerde.

B — Tu vois comme tu es ; tu dis que tu ne va pas dire un truc et tu le dis.

A — C’est de la prétérition. Ça permet de faire un effet rhétorique. J’aime pas les gens qui ne font pas d’effet rhétorique. Si tu parles « plat », sans effet, sans recherche, c’est que tu es plat comme la réalité, sans relief, sans point de vue d’où dominer le monde.

B — Ah ah, tu te trahis ! Tu veux dominer le monde, lui imposer ta volonté. Facho !

A — Minus habens. Gens de peu. Je sais, gens se met toujours au pluriel, mais tu es à toi tout seul plusieurs gens de très très peu de comprenette. Dominer le monde n’est pas le contrôler, le diriger, mais avoir un point de vue sur. Une perspective. Voir loin plutôt que ton écran de télé, ou de téléphone. Échapper à la myopie des neurones et des sens qui fait que tu ne penses pas pouvoir vivre sans GPS neuronal, sensuel, émotionnel et tutti  quanti. Les gens, en réalité, ils sont perdus et ils ont besoin d’un berger pour les mener en barque et en troupeau. Ils croient qu’ils ont besoin. On leur fait croire qu’ils ont besoin.