Disputer pour avoir raison

Disputer pour avoir raison

28 avril 2025 0 Par Paul Rassat

Dans L’art d’avoir toujours raison Schopenhauer écrit :  « La dialectique éristique est l’art de disputer, et ce de telle sorte que l’on ait toujours raison…On peut…avoir objectivement raison quant au débat lui-même tout en ayant tort aux yeux des personnes présentes, et parfois même à ses propres yeux…

Vérité et vanité

D’où cela vient-il ? De la médiocrité naturelle de l’espèce humaine. Si ce n’était pas le cas, si nous étions foncièrement honnêtes, nous ne chercherions, dans tout débat, qu’à faire surgir la vérité, sans nous soucier de savoir si elle est conforme à l’opinion que nous avions d’abord défendue ou à celle de l’adversaire : ce qui n’aurait pas d’importance ou serait du moins tout à fait secondaire. Mais c’est désormais l’essentiel. La vanité innée, particulièrement irritable en ce qui concerne les facultés intellectuelle, ne veut pas accepter que notre affirmation se révèle fausse, ni que celle de l’adversaire soit juste…

Le triomphe de la médiocrité

Ainsi, nous sommes quasi obligés d’être malhonnêtes lors de la controverse, ou du moins légèrement tentés de l’être. De cette façon, la faiblesse de notre intelligence et la perversité de notre volonté se soutiennent mutuellement. Il en résulte qu’en règle générale celui qui débat ne se bat pas pour la vérité mais pour sa thèse…Chacun cherchera donc généralement à faire triompher sa proposition, même lorsqu’elle lui paraît pour le moment fausse ou douteuse. Quant aux moyens pour y parvenir, ils lui seront fournis dans une certaine mesure par ses aptitudes personnelles à la ruse et à la médiocrité. »

L’ultime stratagème

Suivent 37 stratagèmes pour avoir toujours raison. Et un Ultime stratagème :  « Si l’on s’aperçoit que l’adversaire est supérieur et que l’on ne va pas gagner, il faut tenir des propos désobligeants et grossiers…Ce serait une grave erreur de penser qu’il suffit de ne pas être soi-même désobligeant. Car en démontrant tranquillement à quelqu’un qu’il a tort et que par voie de conséquence il juge et pense de travers, ce qui est le cas dans toute victoire dialectique, on l’ulcère encore plus que par des paroles grossières et blessantes…Rien n’égale pour l’homme le fait de satisfaire sa vanité, et aucune blessure n’est plus douloureuse que de la voir blessée. »

L’enfermement ou l’aventure

 Dans son livre sur Héraclite, Jean-François Billeter pointe la différence entre les endormis  et les éveillés. Les premiers vivent dans un monde circonscrit à leurs intérêts personnels. Les seconds partagent la même réalité. Il ne faudrait pas confondre la raison et vouloir avoir raison. Le mot vient du latin ratio, rationem dont le premier sens est « calcul, compte. » Si la conversation se réduit à faire des calculs pour régler son compte à l’interlocuteur, qu’apporte la victoire ? Elle sacre la médiocrité pointée par Schopenhauer.