Regarder

Regarder

9 juillet 2025 Non Par Paul Rassat

Fin X° siècle, garder signifie : «  « se tenir sur ses gardes (vis-à-vis de Dieu) en se conduisant bien », puis « prendre soin de (une personne). Ont suivi se méfier, prendre garde, surveiller, mettre de côté, retenir, prendre soin, monter la garde. Regarder a remplacé garder dans le sens de « chercher à voir ».

Le miroir

En 1480 regarder prend aussi le sens de « contempler sa propre image dans un miroir. Faut-il rapprocher ce sens nouveau de nouvelles techniques apparues à la même époque, la Renaissance, pour produire des miroirs plus aboutis ? Narcisse, en comparaison, ressemblerait à un animal qui découvre son image. Re-garder, c’est observer l’autre et être observé par lui dans un mouvement de réciprocité. « Je est un autre » ; l’autre est-il moi ? Le verbe exprime aussi une réitération. Répéter pour recommencer. Chercher dans l’image la source, l’origine de toutes les répétitions qui se fondent dans le regard qui crée et reçoit.

L’imagination et le regard

Pour Bachelard «  l’imagination est la faculté de déformer les images fournies par la perception, elle est la faculté de nous libérer des images premières, de changer les images. S’il n’y a pas de changement d’images, union inattendue des images, il n’y a pas imagination…Si une image présente ne fait pas penser à une image absente, si une image occasionnelle ne détermine pas une prodigalité d’images aberrantes, une explosion d’images, il n’y a pas imagination. » Après l’avoir cité, Christian Thiboutot note que pour Bachelard l’image et le langage fonctionnent sur le même principe. La poésie nous place «  à l’origine de l’être parlant ». Au lecteur ou au regardeur de « se laisser prendre au jeu des images, et de participer à l’ouverture du monde. »

Perspectives

Notre regard sur le monde et sur nous-mêmes a évolué avec les lunettes, la longue-vue, le télescope, le microscope. Voir la terre depuis l’espace a été une révolution.. Le perfectionnement du miroir, la photographie, puis le selfie accompagnent ou permettent des changements remarquables. Peut-être réaliserons-nous prochainement des selfies internes en introduisant des canules photographiques dans notre corps. Au lieu d’envoyer un portrait comme on le faisait il y a quelques siècles afin que le futur époux découvre sa promise, on enverra un selfie interne témoignant de la bonne santé du corps.

Le flou poétique

Et enfin, un peu de myopie ne serait-elle pas susceptible de contribuer à donner de la poésie à notre monde de plus en plus précis ? La lomography et les appareils Lomo sont un recours possible pour les obsédés de la précision qui appauvrit la perception du réel. On rappellera avec amusement cette sentence de Martine Aubry : «  Quand c’est flou, c’est qui il y a un loup. » Or qu’y a-t-il de plus flou que la politique ? Si nos élus acceptaient leur dimension foutraquement poétique, on s’ennuierait moins.