Éloquence
14 juillet 2025Les concours d’éloquence fleurissent. On se rendrait enfin compte du pouvoir de la parole ? On savait déjà que l’impossibilité de pouvoir exprimer correctement ses idées et ses émotions peut conduire à la violence. Mais on apprend de plus en plus que le pouvoir de la parole peut entraîner la violence. Les discours politiques en témoignent. Dans Éthique de la considération Corinne Pelluchon écrit : « Le développement de l’esprit critique, qui était l’un des piliers des Lumières, ne peut pas être séparé de la formation du caractère. Une éducation visant à mettre les individus sur le chemin de la considération doit donc aussi insister sur l’aptitude du sujet au discernement moral… (en photo, buste de Cicéron).
Approche holistique
L’éducation ne concerne donc pas seulement l’intellect ; elle ne se borne pas à instruire le sujet et à lui permettre de s’exprimer, de développer ses capacités linguistiques, sa rhétorique et son sens logique : elle s’adresse à la personne dans son ensemble, à sa sensibilité, à son affectivité et à son sens moral. »
Développer son esprit critique, s’exprimer doivent faire partie de tout le parcours scolaire et non en être séparés comme une discipline à part récompensant les plus doués dans cet art. Vus sous cet angle, les concours d’éloquence sont un contresens.
Exemple
Talpa a déjà évoqué ce roi d’outre Méditerranée. Il s’était rendu compte que l’enseignement de la langue française par des coopérants français contribuait à développer l’esprit critique de ses sujets. Il fit donc un discours à la télévision pour menacer : la langue française devait demeurer un simple outil et non une ouverture à la pensée critique.
Parrhêsia
Corinne Pelluchon conseille d’enseigner la philosophie dès les classes primaires. C’est vraisemblablement dès le plus jeune âge qu’il faut s’y exercer, alors que l’on découvre le monde, avant que les préjugés prennent racine. C’est à ce stade de la vie que la parrhêsia est la plus pertinente. « Celle-ci n’a rien à voir avec les techniques de communication servant à façonner l’image de l’orateur. » Elle n’est pas non plus du ressort de la rhétorique dont le but est de convaincre, de manipuler, d’imposer son point de vue.
Parler propre
« La parrhêsia…ne sert pas celui qui parle, mais celui à qui l’on dit la vérité au bon moment, d’une certaine manière et dans la mesure où l’on estime qu’il est capable de la comprendre. Au lieu de flatter son interlocuteur pour le rendre dépendant et gagner son approbation, le maître lui parle librement, afin qu’il trouve sa voie et ait un rapport à lui-même et à la vérité qui soit satisfaisant…La parrhêsia est l’art de parler propre. » Sans doute cette façon de procéder est-elle propre à développer aussi des qualités d’écoute.
Disputation
À l’opposé de la parrhêsia la disputatio du Moyen Âge se caractérisait le plus souvent par son aspect purement formel. Les débatteurs cherchaient à assommer leurs contradicteurs sous le poids de citations. Comme il fallait rentabiliser l’effort de mémorisation, en tirer parti, le but de la disputatio dériva rapidement : il ne s’agissait plus d’atteindre une vérité mais d’imposer son point de vue et d’avoir raison et raison de son rival. Les débats télévisés dérivent de cet exercice oral détaché de toute portée morale et humaine.
Quolibet
Dans l’université médiévale, la dispute porte sur des sujets non préparés, laissés à l’initiative de l’assistance. Celle-ci choisissait le sujet « qui lui plaît », quod libet. Aux risques et périls du disputeur qui se risquait aux quolibets s’il n’était pas à la hauteur. Là encore nous retrouvons les débats retransmis dans les médias. Les quolibets pleuvent sur les plateaux et le tout est mesuré sous forme de taux d’audience.
Devos
Voici, en illustration, un extrait de sketch de Raymond Devos.
« Puisqu’on m’a demandé de faire un discours, je vous signale tout de suite, Mesdames et Messieurs, que je vais parler pour ne rien dire.
Je sais ! Vous pensez : “S’il n’a rien à dire … il ferait mieux de se taire !”
Mais c’est trop facile ! … c’est trop facile !
Vous voudriez que je fasse comme tous ceux qui n’ont rien à dire et qui le gardent pour eux ?
Eh bien non ! Mesdames et messieurs, moi, quand je n’ai rien à dire, je veux qu’on le sache ! »
Et en conclusion le » Tu causes, tu causes, c’est tout ce que tu sais faire » de Zazie.