Revenir au centre

Revenir au centre

15 juillet 2025 0 Par Paul Rassat

Épisode 3 de Talpa sur la notion de centre. Y revenir, comme le Petit Poucet ?

Le centre et le vide

S’il existe, le temps passe en nous. Jean-François Billeter propose de dire « Ça pense en moi » plutôt que « Je pense ». Le véritable lâcher prise serait là, là où l’on ne pense pas. Mais où l’on se laisse traverser par la pensée, par la langue, par « l’ordre des choses ». Nous en faisons partie afin de vivre pleinement, à notre place en espérant en faire quelque chose.

Être immergé

C’est ici qu’intervient encore Albert Jacquard citant Démocrite. « Tout ce qui existe dans l’univers est le fruit du hasard et de la nécessité… Le sens de cette affirmation doit être cherché moins dans les deux termes que dans l’absence du troisième. En fait, en omettant de citer la finalité, Démocrite récuse l’influence des dieux. » Certaines régularités renvoient aux « lois de la nature » mais tout n’est pas explicable. La science décide  de réduire le champ du hasard. « Cette attitude consiste à regarder le monde réel avec la volonté de le déchiffrer, à se sentir simultanément immergé en lui et face à lui, à lui poser des questions en sachant que les réponses seront toujours provisoires et toujours partielles. »

Cette voie de la lucidité s’accompagne de doutes, d’hésitations. Le pouvoir politique la fuit car son pouvoir y laisserait la crédibilité sur lequel on l’assoit. D’où ces tics langagiers qui se veulent rassurants (et un peu méprisants) : « Vous savez… je vais vous dire ». Bis repetita placent.

Maison !

« Se sentir immergé dans le monde réel et face à lui », de quoi être désorienté dans un univers binaire. Être du côté du centre et à l’extérieur du cercle ! La carte et le territoire ! L’origine et la destination. Dans les pages qu’elle consacre à l’Orient et occident dans Étymologies pour échapper au chaos, Andrea Marcolongo note. « …il n’y a pas de sensation plus belle que celle de pouvoir dire je suis à la maison.

 Les peuples indo-européens trouvèrent la plus simple des solutions, mais aussi la plus difficile à mettre en œuvre-établir un point « d’origine ».

Le Petit Poucet

Le Petit Poucet

 Exactement comme le fit le Petit Poucet avec ses petits cailloux blancs et sa mie de pain dans le célèbre conte de Charles Perrault. En résumé : si je sais d’où je viens, je saurai aussi comment y retourner…Notre ascension, orient, et notre descente, occident, sont contenues dans l’espace compris entre ces deux étymologies. » On relèvera que la maison du Petit Poucet figure le paradis perdu et que c’est au héros d’aller trouver à l’extérieur de ce « centre » le trésor indispensable pour réintégrer le jardin d’Éden. Louis XIV régla la question en devenant le roi soleil et on fait dire à Charles Quint : « Sur mon empire, le soleil ne se couche jamais. » De quoi ne pas être désorienté. Situation d’autant plus importante de nos jours qui voient apparaître l’orientation sexuelle et se confirmer l’importance discutée de l’orientation politique.

Se desporter

Aux efforts du Petit Poucet répondent ceux des sportifs. Odon Vallet, dans son Petit Lexique des mots essentiels remarque la proximité étymologique des mots sportif et déporté. « Sport est un mot anglais issu de l’ancien français desporter, signifiant « s’amuser »… littéralement porter hors de, loin des occupations habituelles et des soucis quotidiens…L’idée de déplacement est essentielle au sport » qui est « un décentrage de soi-même, une échappée dans l’exploit. »

Être en colère

Si le sport est mouvement effectué à partir d’un ancrage, d’un centrage, la culture n’a rien à lui envier en la matière. Odon Vallet, encore, écrit : « Qu’il s’agisse d’entretenir l’autel d’un dieu, de labourer la terre d’un paysan ou de cultiver le champ du savoir, il faut faire le tour de la question, en circulant avec l’encensoir, la charrue ou les idées…En latin colère (étymon de culture) signifie « se mouvoir habilement » : l’agriculteur est à la fois celui qui circule constamment entre sa maison et ses champs et celui qui est rivé à la terre accolée à son domicile. » Des expressions comme « se dépasser, se surpasser » laissent croire qu’il est possible de s’excentrer au point d’aller au-delà de ses limites. Mais « Une fois qu’on a passé les bornes, il n’y a plus de limites » déclarait Alphonse Allais qui définissait à la perfection le dépassement de soi, avec ou sans clignotant.

L’un dans l’autre

Puisque de perfection il est question, la recherche de celle-ci, ne peut que renvoyer à l’imperfection et à l’échec de l’industrie humaine.