Sabrer la culture
18 novembre 2025Sabrer la culture et son budget, c’est sacrifier ce qui nous fait humains à ce qui nous asservit. ( Dessin de Filipandré)
La confusion entre sabrer et sabler intervient lorsqu’il est question de champagne. Dans La puce à l’oreille Claude Duneton explique que « sabler le champagne » c’est le boire d’un trait, cul-sec comme c’était autrefois la coutume. Il paraît même que l’on embuait d’un souffle la coupe et qu’on en saupoudrait ensuite les parois de sucre car celui-ci faisait pétiller davantage le vin. Les puristes ( Il y en a) noteront qu’on ne peut pas saupoudrer de sucre puisque « saupoudrer » veut dire « poudre de sel ». On sablait cependant le champagne comme on fait couler d’un trait une matière en fusion dans un moule en sable.
Sabrer le champagne, c’est ouvrir la bouteille d’un coup de sabre vigoureux après avoir posé la lame juste sous le goulot. Une histoire de gens pressés, peut-être de hussards.
Le champagne et la culture
On sabre désormais la culture comme on sabre le champagne, à grands coups violents qui taillent dans la matière. Les temps sont durs, le budget incertain, il faut aller à l’essentiel ! Et en allant bien vite, on finit par ressembler à ces gloutons qui, avalant trop vite, manquent de s’étouffer.
Homo ludens
Dans La vie rêvée du joueur d’échecs, Denis Grozdanovitch cite Lewis Mumford et son livre Le mythe de la machine. « Dans Homo ludens, l’historien néerlandais Johan Huizinga a récemment fourni une quantité de preuves qui suggèrent que c’est le jeu, et non le travail, qui fut à l’origine de la culture humaine et que l’activité la plus sérieuse de l’homme relevait du domaine de l’imagination. Il démontre que ce sont les rites, la mimesis, les sports, les jeux et le théâtre qui ont détaché l’homme de sa stricte animalité…Bien avant de pouvoir transformer son milieu naturel, l’homme avait créé un environnement en réduction, le terrain symbolique du jeu, où toutes les fonctions de son existence pouvaient être remodelées sur un mode exclusivement humain, comme dans un jeu. »
Sabristi !
Et puis le jeu a perdu de sa portée symbolique. L’homme s’est mis à transformer et à détruire son milieu naturel. Il a confondu le jeu et la consommation, la victoire et la réussite. Le jeu n’est plus que prétexte à gagner de l’argent. La culture, cet espace d’imagination, laisse place à l’innovation. Alors, d’un coup sec, on la sabre.
