Singer, ensinger.
19 novembre 2025« …la richesse et la vie publique des cités favorisait [à une époque du Moyen Âge] les débuts de ce que nous appellerions la « mode », et les excès de l’art marginal fournissent exactement le superflu auquel les nouveaux riches aspiraient au début du XIV° siècle. Odofredus, un homme de loi italien, se plaint que son fils parti faire ses études à Paris ait dilapidé tout son argent pour faire « ensinger » ses livres ( « fecit libros suos babuinare ») et les faire écrire en lettres d’or. Les mêmes formes contre lesquelles saint Bernard avait fulminé parce qu’elles étaient indignes de l’attention des hommes de Dieu étaient maintenant des signes de prestige et de luxe – la dernière « mode » de Paris à laquelle l’artiste sacrifiait désormais au lieu de servir Dieu. »
« Les marges ont toujours été le lieu de l’illusion » poursuit Michael Camille dans Images dans les marges. La marge est un détournement. Sa disparition replie l’art et la société sur elle-même. La rend aveugle.
Montrer pour aveugler
Paradoxalement, plus les images envahissent le monde, plus elles nous rendent aveugles car le centre et la marge se confondent. Le marginal est devenu central, phagocyté par le système de consommation. Peut-être faut-il voir dans les ogres qui mangent les enfants une allégorie de notre société de consommation.
Aurions-nous, humains, atteint notre date de péremption ? Il faut faire vite, consommer vite, manger vite. Passer vite. Vite suivre la mode. L’affaire de Shein au BHV montre que, si les marges ont disparu, il y a tout de même des limites ! Ne nous laissons pas ensinger par plus singes que nous ; ni embabouiner.
Mais au fond, à vouloir transformer nos corps par la chirurgie esthétique, par les logiciels qui modifient notre image, ne devenons-nous pas nous-mêmes une mode passagère ? Des singes de moins en moins savants ?

