Ma chance en cœur

Ma chance en cœur

21 novembre 2025 0 Par Paul Rassat

L’édition 2026 de Glisse en Cœur démarrait ce 19 novembre 2025 à l’Impérial Palace d’Annecy. Isabelle Pochat-Cotilloux soulignait une innovation. 31 associations ont déjà été soutenues par Glisse en Cœur. Cette fois-ci, c’est le tour de « Ma chance Moi aussi », fondée par André Payerne. Cette structure n’intervient pas en milieu hospitalier, en soutien à la recherche…mais directement dans la vie d’enfants et d’adolescents afin de leur donner les mêmes chances personnelles et professionnelles dont bénéficient des jeunes issus de milieux plus favorisés. (Photo © J-Marc Favre : André Payerne, Mercotte, Isabelle Pochat-Cotilloux et Stéphane Thébaut).

Entretien avec André Payerne et avec Mercotte,  la marraine de l’association.

  Monsieur Payerne, qu’est-ce qui vous a amené à créer l’association Ma chance  Moi aussi ?

C’est assez simple. Toute ma vie j’ai été industriel dans la métallurgie. Dans mes ateliers de Chambéry j’avais un certain nombre de compagnons d’origine immigrée. J’étais dans une grande proximité avec eux, et la majorité d’entre eux habitaient le quartier prioritaire de Chambéry le Haut. C’est ce qui m’a amené à m’intéresser à l’évolution des 1500 quartiers de ce type.

J’avais vendu ma dernière entreprise en 2012 ; en 2013 je tombe sur une étude qui analyse l’évolution des indicateurs sur 40 ans dans les quartiers prioritaires. 40 ans, des milliards dépensés, des discours, aucune amélioration ! Je suis saisi de colère à la pensée de tous ces enfants qui risquent d’aller dans le mur, de prendre de mauvais chemins. L’actualité illustre malheureusement ces problèmes.

J’ai donc décidé de prendre en main les plus vulnérables, ceux qui sont dans des familles en difficulté éducative dans ces quartiers prioritaires. On les prend à 6 ans, pour les garder 10 ans. Tous les soirs après l’école, le mercredi, club de sport, ainsi que pendant la moitié des vacances. Il y a des sorties éducatives, des visites de musées… L’objectif que j’ai fixé à mes troupes est très clair : aucun de ces enfants n’ira dans le mauvais chemin. Qu’ils deviennent polytechnicien, artisan, peu importe, pourvu qu’ils soient heureux. Tous auront le choix de leur vie, deviendront des créateurs au lieu d’être un coût pour l’État, et notre cohésion nationale en sera renforcée.

On parle tellement en ce moment de la drogue, de ceux qui en tiennent les circuits dans les quartiers. Je veux couper ces enfants d’une sorte de fatalité, couper la relève dans ces circuits en soutenant les familles qui sont en difficulté éducative. C’est une bêtise de ne pas permettre à ces enfants de rejoindre notre société.

Votre approche est intelligente dans le sens étymologique où elle relie ; elle n’est pas scolaire mais globale.

Je suis industriel. Quand j’analyse une problématique, d’abord je segmente. Où porter l’effort ? Sur les jeunes des quartiers. Une fois la cible définie, quelle médication lui apporter ? Les politiques que nous mettons en place dans « Ma chance moi aussi » sont adaptées à ce contexte, elles ne le seraient pas si nous décidions d’aider les quartiers ruraux. Tout patron industriel raisonnerait comme moi.

C’est un raisonnement humain.

Mais bien sûr ! L’industrie, c’est avant tout de l’humanité. Lorsque j’étais un industriel reconnu, on me demandait de venir parler aux élèves. Je venais un peu aussi pour secouer les profs. Je disais : « Les enfants, c’est très simple, l’entreprise c’est d’abord de l’amour. » Telle a été ma vie avec mes hommes, essentiellement dans la métallurgie lourde. J’ai eu des vieux communistes qui avaient les mêmes valeurs que moi. On était ensemble ( accent d’insistance très appuyé sur « ensemble »). On s’aimait ! Y compris ceux qui étaient dans les quartiers de là-Haut ; ce qui m’a amené à faire ce que je fais.

Mais il faut être dans l’efficience ! Pour nos 10 ans, nous avons demandé à une société spécialisée de faire la mesure d’impact du travail que l’on met en place avec les jeunes. Nous sommes sur la bonne voie. Le président Payerne peut dire à ses troupes «  Aucun n’ira dans le mauvais chemin. »

Et vous, Mercotte, que faites-vous dans cette histoire ?

Je suis la marraine. André et moi nous connaissons depuis notre jeunesse et il avait besoin de quelqu’un d’un peu connu. J’adhère complètement à son discours et à son action. Et il m’arrive d’intervenir à l’occasion. J’apprends aux enfants à faire de la pâtisserie, des choses toutes simples, qu’on peut refaire à la maison. La transmission fonctionne alors dans l’autre sens : ce sont les enfants qui transmettent aux mamans. Bien manger est important.

Avant de nous asseoir pour ce moment de conversation, j’avais parlé de philosophie à André Payerne, sur le mode de l’humour, et il avait botté en touche.

Vous voyez que vous êtes philosophe, M. Payerne, l’amour, la transmission…

Je vais vous dire…J’étais un gamin terrible ; je me faisais virer de partout. Mais quand je suis arrivé en philo, j’ai eu la chance de pouvoir aborder tous les grands thèmes qui nous étaient présentés ainsi : « Les cathos pensent ça, là-dessus ; d’autres pensent ça, ou ça…maintenant je vous laisse vous faire votre point de vue. » La philosophie, l’ouverture, c’est ce qui m’a inspiré beaucoup dans ma vie. Ce rapport à l’autre. On apprend ! À des moments on va s’engueuler, mais d’une certaine manière. Dans la métallurgie il y a toujours le respect, le respect de l’autre. Donc oui, j’ai fait que de la philo à mon petit niveau !

J’ai passé le bac en 69, ils me l’ont un peu donné.

Mais vous en avez fait bon usage. Quel regard portez-vous sur tout votre parcours ?

C’est très simple. J’ai créé ma boîte seul. J’avais 25 ans en 1973. Et puis j’ai développé, et puis voilà. J’ai vécu le monde de l’industrie, de la métallurgie – les cultures sont différentes en fonction des métiers – . La métallurgie est un métier dur, les hommes sont durs eux aussi.

C’est pour cette raison que vous faites appel à Mercotte, elle apporte un peu de douceur ! ( rires partagés)

Je n’ai eu pendant toute ma carrière que des rapports d’amour, d’affection, de respect. Nous étions toujours là l’un pour l’autre dans l’entreprise. J’ai choisi d’appeler mon association ainsi pour deux raisons. J’ai été aimé par mes parents alors que je faisais le couillon…Ils m’ont donné un amour fou ! Et puis pendant 50 ans, jamais un de mes mecs ne m’a quitté . Nous avons développé une merveille de construction.  En Russie, en Allemagne, dans des contextes différents les valeurs étaient les mêmes… Ces métiers donnent une culture humaine de relation à l’autre très forte. On n’est ni dans la mode, ni dans le superficiel ! J’ai eu toutes les chances. Des parents qui m’adorent, des mecs merveilleux, une certaine réussite.

Souvent les gens qui réussissent disent que c’était tout simple, naturel, évident. Quelle sont vraiment vos qualités ?

J’étais le plus mauvais dans toutes les grandes fonctions de l’entreprise. Je me suis entouré de gens beaucoup plus compétents que moi. 50 % de mes embauches se faisaient parce que je voyais la personne et sa capacité à partager ma culture ; ensuite c’est le côté professionnel. 50 / 50. Je ne me suis pas trompé là-dessus. On peut partager des cultures, des manières d’être, des comportements à partir du moment où il y a des germes sensibles proches. C’est merveilleux.

Je suis un développeur, mais lorsque j’ai démarré je faisais tellement de conneries que je bossais deux fois plus, 12 à 13 heures par jour, samedi et dimanche compris. La masse de boulot rattrapait mes conneries. C’est aussi simple que ça ! Je suis un meneur d’hommes capable d’emmener une cordée au sommet de la montagne, y compris le plus faible. Il montera. «  Tous les enfants sont notre avenir. »