Art et réalité
1 mars 2023En 1969 paraissait L’œil et l’esprit, de la main, des neurones et de la sensibilité de Maurice Merleau-Ponty. En voici les premiers passages. Il y est question de la nécessité de l’art parce que l’approche de la science, méthodique, plaque la méthode sur la réalité et la vide de son contenu vivant. Se demander, d’ailleurs, ce qu’est réellement la réalité. Un amoncellement de chiffres, se statistiques qui finissent par se vendre sous formes d’analyses, de sondages ? De data ?
La vie, l’amour et la « réalité »
Le monde entier est toujours là
La vie pleine de choses surprenantes
Je sors de la pharmacie
Je descends juste de la bascule
Je pèse mes 80 kilos
Je t’aime
Blaise Cendrars, Feuilles de route, 1924
L’amour pèse-t-il 80 kilos ? Ces quelques mots de Cendrars transcendent le quotidien, l’ouvrent au sentiment vrai, direct, irrépressible.
La réalité manipulée
« La science manipule les choses et renonce à les habiter. Elle en donne des modèles internes et, opérant sur ces indices ou variables les transformations permises par leur définition, ne se confronte que de loin en loin avec le monde actuel. Elle est, elle a toujours été, cette pensée admirablement active, ingénieuse, désinvolte, ce parti pris de traiter tout être comme « objet en général », c’est-à-dire à la fois comme s’il ne nous était rien et se trouvait cependant prédestiné à nos artifices…
Extrapolation n’est pas raison
Penser, c’est essayer, opérer, transformer, sous la seule réserve d’un contrôle expérimental où n’interviennent que des phénomènes hautement « travaillés », et que nos appareils produisent plutôt qu’ils ne les enregistrent. De là toutes sortes de tentatives vagabondes….Quand un modèle a réussi dans un ordre de problèmes, elle [ la science] l’essaie partout…
Incorporer pour faire vivre
…si l’homme devient vraiment le manipulandum qu’il pense être, on entre dans un régime de culture où il n’y a plus ni vrai ni faux touchant l’homme et l’histoire, dans un sommeil ou u cauchemar dont rien ne saurait le réveiller. »
Il faut considérer « non pas ce corps possible dont il est loisible de soutenir qu’il est une machine à information, mais ce corps actuel que j’appelle mien, la sentinelle qui se tient silencieusement sous mes paroles et sous mes actes…
La nécessité de l’art
Or l’art et notamment la peinture puisent à cette nappe de sens brut…Le peintre est seul à avoir droit de regard sur toutes choses sans aucun droit d’appréciation….Il est là, fort ou faible dans la vie, mais souverain sans conteste dans sa rumination du monde, sans autre « technique » que celle que ses yeux et ses mains se donnent à force de voir, à force de peindre… Quelle est donc cette science secrète qu’il a ou qu’il cherche ? Cette dimension selon laquelle Van Gogh veut aller « plus loin » ? Ce fondamental de la peinture, et peut-être de toute culture ? »
Merleau-Ponty L’œil et l’esprit ( 1969)
L’art à la source
L’étymologie nous apprend que réalité viendrait d’un mot inventé au 13° siècle ! Qu’en était-il avant ? La réalité renvoyait, à sa création, aux biens immobiliers, aux objets alors que personalis désignait une personne, ce qui en relevait. Et puis la réalité a grignoté les personnes ! Elle les a transformées en choses, en data, en petits bouts d’une mosaïque incontrôlable. Virtualisées. Modélisées. Perdues dans un glacis de kitsch qui nous coupe de l’environnement qu’il faut préserver, qu’on met à toutes les sauces sans considérer que nous en faisons partie. L’homme s’oublie. Alors il lui faut « vivre des émotions », « prendre du plaisir », « partager » pour avoir la sensation d’exister. Mais si l’on lui accorde l’attention nécessaire, l’art, cordon ombilical, nous relie aux véritables sources de la vie. Sans intermédiaire.
Exemple en vrai
Pas très loin de là où creuse Talpa, à Sevrier, un panneau STOP très visible a été remplacé par deux panneaux STOP qui créent confusion, incompréhension, engueulades…Umberto Eco, dans l’œuvre ouverte soutenait que plus une œuvre est artistique, plus elle s’ouvre à interprétations. Il prenait l’exemple opposé du code de la route que des panneaux univoques doivent matérialiser. Mais si même le code de la route crée de la confusion ! Il paraît que c’est pour obéir au schéma directeur des pistes cyclables, me répond-on. Si le schéma directeur nous plonge dans la confusion, on va-t-on ? Dans des schémas directeurs.
Remarque
L’analyse de lisibilité incorporée à mon blog signale que l’analyse de lisibilité de ce texte n’est pas satisfaisante. Qutre phrases successives commencenent par « Je ». La poésie n’entrerait donc dans aucun schéma directeur?