Bayeux, mes aïeux !
7 novembre 2025Qu’est devenue la polémique qui a occupé tous les esprits ? Fallait-il ou non faire voyager la tapisserie de Bayeux et la prêter à nos plus chers ennemis, les Anglois ? On mettait en avant la fragilité de l’ouvrage. Les spécialistes occupaient les médias, entre l’Ukraine et Gaza. Qu’est devenue la tapisserie de Bayeux ? Il paraît qu’elle a quitté son musée habituel et aurait été entreposée dans un lieu secret en attendant son transfert en Angleterre. La presse nous apprend que l’opération aurait mobilisé plus de 90 personnes et qu’elle aurait duré 7 heures 15. Ces précisions font ressortir encore davantage les approximations du Louvre en termes de sécurité.
Les marges
Un article de Talpa a suscité une réaction intéressante. Une lectrice m’a signalé le livre Images dans les marges. Page 171 on peut admirer une scène de la tapisserie de Bayeux que le livre de Michael Camille légende ainsi : « Guy amène Harold au duc Guillaume de Normandie ; couple sur le point de copuler dans la bordure. » Cette amie chercheuse, si attentive aux détails qui figurent dans les marges, me signale que les spécialistes en sont encore à compter les pénis qui figurent sur la tapisserie. Il y en aurait 93, dont 88 de chevaux. L’étalon bien membré aurait représenté la force virile, la puissance guerrière. Les pénis humains apparaissent plutôt dans les marges. Il paraît qu’ils sont un contrepoint au sacré.



Ironie
De là à y voir une lecture ironique ; cette puissance virile tellement exagérée offrirait une lecture ironique de la puissance. Les brodeuses se seraient-elle moquées des braquemarts et de leurs propriétaires exhibant une puissance légèrement surestimée ?
Carnaval
Images dans les marges aborde aussi le thème du carnaval, cette marge par rapport au déroulement habituel. « La place publique et les rues avoisinantes sont le lieu du carnaval. La place publique met au centre même de la communauté ce qui, dans la vie ordinaire, est aux marges ou aux limites » ( Dominick La Capra). À feuilleter le livre, on remarque : « Clochettes, sceaux simiesques et pièces vomies. ( Livre d’heures) ». « Gentilhomme offrant des étrons à sa dame. » (Livre d’heures). « Renifleur de derrière. Miséricorde. ( Église Saint-Pierre, Saumur) ». « Scène anale. Psautier de Rutland) »…
Marginalité fabriquée
Ce contrepoint ironique offrant une double lecture disparaît avec la Renaissance qui place l’homme au centre des représentations. Les marges disparaissent tandis que les navigateurs explorent le monde. Rien n’échapperait plus à la maîtrise du savoir. « Comme le dit Hal Forster, dans » l’ordre social moderne, qui ne connaît pas le dehors ( et qui doit inventer sa propre transgression pour définir ses limites), la différence est souvent fabriquée « . La marginalité devient une mode récupérée par le goût bourgeois. Et les étalons ne servent plus qu’à saillir les juments reproductrices, quand la marge se réduit au bénéfice.
Alors pourquoi prêter la tapisserie de Bayeux aux Anglois ? Peut-être une façon amusante et un peu provocatrice de détourner la formule prononcée à la bataille de Fontenoy : » Messieurs les Anglais, tirez les premiers ! »
Bayeux, mes aïeux !
