Chaque jour est carnaval. Tableau#2

Chaque jour est carnaval. Tableau#2

31 janvier 2021 Non Par Paul Rassat

Un monde à l’envers

Les masques

Est-il nécessaire de parler de masques en temps de pandémie ? Pour, contre, sous le nez, efficaces ou non, en rupture de stock, en tissu, en papier, protection ou atteinte à la liberté le masque est partout, même à l’intérieur des maisons. Quant aux déguisements, on les retrouve sacrant les experts qui commentent la situation pour ces citoyens de qui Sibeth Ndaye pense qu’ils manquent de connaissances scientifiques. Et Roselyne, passée de la politique au journalisme regagne la politique.

Défilés et files d’attente

Défilés et cortèges se concentrent vers les laboratoires d’analyses médicales. Ils avaient commencé bien avant sous la forme de ces théories d’employés licenciés ou futurs licenciés qui passent à la télévision. Qui passent, c’est le mot exact, et puis disparaissent après avoir occupé un temps l’attention, rendant le cerveau disponible pour Coca Cola ou tout autre marque faisant sa publicité avec l’argent du consommateur voyeur qui mate au point de ne plus trop savoir s’il est producteur, produit, consommateur, client parce qu’on lui fait croire qu’il est décideur.

Quêtes et demandes d’aide

Les quêtes prennent la forme de revendications de la part des commerçants qui souhaitent continuer à gagner leur vie. Demandes de  subventions, d’aides complètent le tableau. Cependant les grandes surfaces sont dévalisées, les rayons alimentaires vidés, le papier hygiénique stocké alors que les violences conjugales, parodie de sexualité tristement destroyée, continuent de sévir. Le malheureux épisode Benjamin Griveaux fut un écho léger à « l’affaire DSK ». À cette occasion on apprit avec étonnement que les chambres d’hôtels de luxe abritaient dans les boucles de leur moquette de nombreuses traces de sperme et des poils pubiens.

Violences, du fait divers au terrorisme et à la guerre

Pendant la pandémie la lutte continue ! Affrontements entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, crispations avec la Turquie, terrorisme religieux ou autre.

La violence est là depuis bien longtemps. Avec les manifestations des Gilets Jaunes répliquant à la violence sociale et économique qui leur est faite. Elle a pris l’allure d’un mauvais spectacle avec Alexandre Benalla. Elle ressurgit avec le procès de Charlie et de l’Hyper Casher.

Le temps d’un applaudissement

Dans ce monde inversé, on applaudit les humbles, on remercie les caissières, les soignants, les enseignants que l’on oublie dès que possible.

Confinement et loisir

Rires, jeux et amusements ? On espère qu’ils ont pu s’épanouir au sein des familles, entre parents et enfants pendant que les jeux de pouvoir continuent.

Retour à l’ordre ?

Et puis, à la fin du carnaval, normalement on juge le roi qui a présidé parodiquement à l’événement avant de le chasser. Caissières, soignants, enseignants devraient retrouver leur place parmi les agriculteurs et tous ceux qui, 2èmes, 3èmes, 4èmes et derniers de cordée auront assuré le spectacle, les coulisses du spectacle, les moyens du spectacle, en auront été acteurs et spectateurs.

Un carnaval inversé

Depuis l’antiquité les manifestations carnavalesques étaient toujours tournées vers une inversion de l’ordre, du pouvoir établi. Une inversion des sexes, entre riches et pauvres. Or notre société bouleverse absolument tout. Masculin, féminin sont remplacés par l’orientation sexuelle. Edgar Faure à qui on reprochait son opportunisme politique répondait « Ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent. »

Le vent tourne dans bien des domaines. Il souffle tant qu’un futur Président de la République, chanteur bruélien, s’y est cassé la voix lors d’un discours. Ce même Président ans qui utilise volontiers le lexique guerrier et la provocation culminant en un « Qu’ils viennent me chercher ! »

Quand il renverse ses propres canons, le pouvoir crée cette confusion qui le pousse à remplacer lesdits canons par des canons à eau, des flash ball. Aucun jugement moral dans tout ceci. Le carnaval échappe justement à la morale. Les masques aussi.

Masques, art et pouvoir magique        

   Dans Ce que l’art nous empêche de voir, Darian Leader explique le rôle du masque en général et plus particulièrement pour Picasso qui découvrit les masques africains au Musée du Trocadéro.             

Tout seul dans cet horrible musée avec des masques…Les Demoiselles d’Avignon ont dû m’apparaître ce jour-là, mais pas du tout à cause des formes : parce que c’était ma première peinture d’exorcisme. 

Le mot « masque », en effet, vient du mot grec signifiant « amulette », un objet pourvu d’une fonction protectrice afin d’attirer et d’absorber l’influence du mauvais œil. Comme Francis Bacon le dit à David Sylvester, peindre consiste à tendre un piège.

Dorian Leader

Le masque a pour fonction de détourner les forces malveillantes. Le piège fonctionne si bien que n’importe quelle image captive l’attention, même une « image » vide. Pensez aux écrans souvent vides de sens qui fascinent le regard et neutralisent les neurones.

Aujourd’hui devant la Joconde (Photo © Christophe Rassat) et le mur vide après le vol du tableau en 1911.

Paravent entre le trop-plein et le vide

Dorian Leader raconte avec intérêt les longues files d’attentes pour voir au Louvre l’emplacement où avait été accrochée la Joconde. Il n’y eut jamais autant de presse que pour venir voir un vide après le vol du tableau par Vincenzo Perrugia en 1911 ! Plus on montre, plus on détourne. C’est ainsi que pratique le prestidigitateur qui exhibe une main pour mieux dissimuler ce que fait l’autre. Si même le vide est significatif, alors le trop plein d’informations ne peut être que suspect. De là vient peut-être la théorie du complot parce qu’elle protègerait, constituerait un masque contre d’autres masques. Saddam Hussein se faisait représenter par plusieurs sosies à la fois pour se protéger et apparaître, frapper l’imagination.