Charge mentale
27 mai 2025— Ça va Gloudsuingue ? Tu fais une drôle de tête ce matin.
— Chais pas, Glovadé, si l’expression existait, je dirais que je me paye une sacrée charge mentale sur le coin de la figure. Les types partent à la chasse. Ils nous laissent seules avec les morveux qu’il faut torcher. Et puis on doit veiller à ce que les bêtes sauvages ne viennent pas les dévorer.
— Ben, rien que de très normal, non ?
— Tu trouves normal qu’on soit bloquées ici, à s’occuper des gosses, nettoyer la grotte, cueillir des baies sauvages pendant que ces messieurs voient du pays, soi disant à la recherche de gibier ?
— Du gibier, ils en rapportent.
— Ce qu’ils veulent bien rapporter. Le reste, ils le mangent sur place. Et quand ils débarquent, qui c’est qui prépare la viande ? Hein ? Et avec cette invention du feu, on doit pas le laisser s’éteindre pendant qu’ils sont pas là, sinon gare à la raclée.
— Moi, ce qui me dérange surtout, Gloudsuingue, c’est le repos du chasseur. Aussitôt qu’il débarque mon mec me passe à la casserole. Il me raconte même pas ce qu’il a vu, ce qu’ils ont découvert. Ils passent des soirées interminables entre hommes, à se raconter des trucs qu’on n’a pas le droit d’écouter.
— Tu vois, Glovadé, si j’avais un peu de temps libre, je sais pas, il me semble que je dessinerais des trucs sur les parois de la grotte. Pour faire plus joli. Pour montrer ce que les hommes découvrent et qu’on voudrait bien voir nous aussi.
— T’as raison. Ils sont égoïstes. Et même un peu gamins. L’autre jour, y’en a un qui s’est mis à taper dans une boule de peau que je n’avais pas encore cousue. Parce qu’il faut rajouter la couture à la charge mentale. Il a tapé du pied dans la boule de peau qui a dévalé jusqu’à Gloxyk. Alors Gloxyk la lui a renvoyée, toujours avec le pied. Et puis ils se sont mis à courir, et d’autres les ont rejoints. Ils se passaient la boule de peau. Ça sent mauvais cette histoire. Ils parlent de faire un terrain pour se passer la boule d’une extrémité à l’autre.
— Et qui c’est qui va bosser encore plus pendant qu’ils vont taper dans la boule, hein ? C’est nous ! Bonjour la charge mentale ! Bonjour les responsabilités ! On va finir par perdre la boule.
