Chère maman

Chère maman

29 juin 2025 0 Par Paul Rassat

Avec Chère maman, Les mères aussi peuvent être toxiques, Sophie Adriansen et Mlle Caroline font le tour de la question. L’adjectif «  Chère » joue des deux sens possibles : chérie et coûteuse. Mère et toxique semble antinomique. Et pourtant.

Toxique

Toxique : « Produit d’origine animale, végétale ou minérale qui provoque l’intoxication, la destruction d’un organisme vivant. Qui est ou qui contient un poison » Un toxique est un poison, et l’étymologie de ce dernier mot renvoie à la boisson, à l’action de boire. L’ensemble renvoie au mot venin. Avec la mère toxique s’impose la « langue de vipère. » Les blessures corporelles, physiques se voient. Le venin psychologique et verbal agit régulièrement, en profondeur. Ses effets sont moins visibles.

Mère

Selon Odon Vallet dans Petit Lexique des mots essentiels, mère et matière son liés. » Via le latin mater et materies les deux mots sont étroitement apparentés. » On retrouve leur racine commune dans toutes les langues indo-européennes.« Pareille unanimité exige une explication d’autant que mater désignait primitivement le tronc de l’arbre par où monte la sève alimentant les branches comme une mère nourrissant ses petits. » Alors, une mère toxique, cet attelage de mots semble impossible. Nourrir et empoisonner à la fois ? Inconcevable ! Et pourtant.

Le tour de la question

Une mère autoritaire, qui fait les questions et les réponses. Elle impose son point de vue, son univers, ses goûts. Joue des reproches, du chantage et de la plainte. Pour elle, devenir mère fut une souffrance que rappelle la cicatrice d’une césarienne. Afin de demeurer le centre de la famille, il faut minimiser les problèmes de son enfant, la rabaisser. Les parents toxiques feraient revivre ce qu’ils ont vécu. Est-ce une explication suffisante ? Le statut de mère justifie-t-il tout ? «  Je suis ta mère tout de même. »

Poison

Ce poison rend toute vraie relation impossible. Il y a des choses que l’on ne pourrait pas dire à sa propre mère ! Qui joue ainsi de son emprise et de l’impossibilité de lui dire les choses en face. Jusqu’à ce que les enfants permettent de sortir de l’impasse. Ils sont à la fois des éponges et des révélateurs.

Dissymétrie révélatrice

Parallèlement à la mère toxique d’Alix, les deux auteures ont eu l’idée judicieuse de montrer une relation saine entre Kathleen et sa mère. Comme les enfants, cette relation est un révélateur. Cette relation d’appropriation, d’enfermement sur une personne asphyxie aussi tout l’entourage. La solution n’est pas simple mais il faut trouver en soi les forces nécessaires à la résistance et à l’épanouissement personnel. Cet album est un excellent contre-poison.

Un album bienvenu sur les mères toxiques

Rencontre avec Mademoiselle Caroline

La rencontre se tient chez BD Fugue Annecy où Mademoiselle Caroline vient dédicacer le livre

La couverture est frappante. On est tout de suite dans le vif du sujet.

Cette maman, je voulais la rendre vraiment menaçante. Mais on a quand même rajouté «  Les mères aussi peuvent être toxiques » entre «  Chère » et « maman ». Il fallait éviter la méprise et que certains offrent l’album pour la fête des mères !

Il y a une touche bourgeoise et conservatrice du côté de la mère.

Je la voulais raide, ce qui colle bien avec le côté bourgeoise, le qu’en dira-t-on…

Tout semble résumé dans cette phrase : «  Je suis ta mère tout de même ! »

Je suis ta mère, tu exécutes, tu disposes.

Si vous vivez assez longtemps, vous pourrez faire le tour de tous les problèmes psy, de toutes les pathologies. La liste de vos albums dans ce domaine est déjà bien fournie. Qu’est-ce qu’il reste à traiter ?

Plein de trucs. Je prépare les thérapies psychédéliques…

Avec des champignons ? Il y aura des ateliers ?

J’ai fait un atelier ! Il fallait que je sache de quoi je parle. C’est une BD que je fais avec Julie Dachez. Je prépare aussi un peu d’anorexie, un peu de viol…que des trucs gais.

Et le rugby, quelle est sa pathologie ?

Aucune, justement. Ça guérit de tout.

Vous envisagez des livres plus souriants ?

Pas vraiment. Il y a toujours une connexion entre ce que je suis et ce que je produis. Même si le scénario est d’une autre personne, il y a toujours de moi. Ma mère est moins toxique que celle de l’album, je pense. Mais quand mon entourage a lu le livre, on m’a dit : « C’est ton histoire ! » Ma mère a lu l’album mais je n’ai aucun retour.

Sophie et moi cherchions un sujet qui nous touchait toutes les deux. On en a passé en revue et nous sommes tout de suite tombées d’accord sur celui-ci. Depuis quinze ans que Julie et moi discutons, nous revenions invariablement sur nos mères. Il s’agissait de savoir laquelle des deux avait fait le pire truc. Comme un concours, oui.

C’est d’autant plus intéressant à cette époque où le statut des femmes évolue considérablement. La relation mère-fille était idéalisée, non ?

Totalement. La mère elle-même était idéalisée. La fille n’intéressait pas grand monde. La relation mère-fils, en revanche était abondamment traitée puisqu’il y avait une majorité d’hommes qui s’exprimaient, écrivains, artistes… Hervé Bazin, les portraits de peintres et de leur mère…

Le livre est un récit mais il pourrait être perçu comme un manuel de résistance à l’emprise toxique.

Oui. Dans le livre, le révélateur et le déclencheur , ce sont les enfants d’Alix. Pour Sophie, la scénariste, la situation n’a plus été possible à partir du moment où elle est devenue mère. Quant à moi j’ai pété un câble quand j’étais enceinte. Quand j’ai eu mon enfant, je ne comprenais pas qu’on puisse se comporter comme ces mères toxiques. Je ne COMPRENAIS PAS comment on ne pouvait pas écouter son enfant.

C’est une pathologie, elle ne relève pas de la raison. Une psy vue récemment parle de « mères sacrificielles ». La mère d’Alix évoque la cicatrice qu’a laissée la césarienne.

Après ça, l‘enfant doit quelque chose à sa mère, alors qu’il n’a pas cherché à venir au monde.

La personne à laquelle on serait redevable, femme ou homme, vit en circuit fermé dans cette relation, sans pouvoir s’épanouir elle non plus. C’est appauvrissant pour tout le monde.

Les retours des lecteurs le confirment. Et nous avons entendu, Sophie et moi, les mêmes phrases prononcées par nos mères. Il y a des mécanismes communs qui se reproduisent de famille en famille. D’où vient ce comportement ? De violences subies que l’on reproduit ? D’autres causes ? Je ne sais pas vraiment. La famille de Sophie et la mienne ne se ressemblent pas. Je ne comprends pas !