Christine Barrat, praticienne formatrice Feldenkrais

Christine Barrat, praticienne formatrice Feldenkrais

18 novembre 2024 0 Par Paul Rassat

Conversation avec Christine Barrat qui animera un atelier à Annecy le 30 novembre 2024.

Définir la méthode Feldenkrais ? C’est une prise de conscience du corps en mouvement. J’ajouterais que c’est une manière d’apprendre à se connaître, à travers le mouvement, qui présente l’avantage d’être plus facile ou concrète que l’approche psychologique, psychanalytique. Le mouvement est concret, dans le rapport au sol, dans le support, dans la sensation de la transmission. On ouvre ainsi un espace de questionnement vis-à-vis de soi d’autant plus intéressant qu’on aborde des questions qu’on se pose rarement.

Pour quelles raisons ne se pose-t-on pas ces questions ?

On agit la plupart du temps par habitude. Comment êtes-vous assis pendant que nous parlons ? Vous êtes-vous demandé si vous êtes plus sur la fesse droite, sur la gauche, si vous avez un vrai appui sous vos pieds ? Un praticien Feldenkrais va vous poser quelques questions, ouvrir un vrai rapport à vous-même pour être plus conscient de là où vous êtes et ouvrir petit à petit un espace de possibles, d’organisation très légèrement différente. Vous allez finir par faire vos choix avec un peu plus de conscience. C’est ce que j’aime dans la méthode Feldenkrais : donner, redonner plus de liberté de choix, rendre les personnes autonomes par rapport à elles-mêmes.

Vous partez du corps pour donner davantage de liberté, mais celle-ci n’est pas que physique. C’est une façon de s’appréhender et d’appréhender le monde avec soi.

Tout à fait. Quand vous agissez sur une facette de vous-même, vous agissez sur le mouvement, sur votre rapport à l’espace, aux personnes autour de vous, à l’environnement en général, donc sur votre rapport au monde. Certains disent que c’est une méthode d’introspection, qu’on se regarde le nombril. C’est une méthode de retour à soi pour être mieux en rapport avec soi et avec l’environnement.

On travaille sur cette facette du mouvement parce qu’elle est plus facile, plus simple. Moshe Feldenkrais a répété qu’il avait choisi le mouvement parce que c’est une voie qui parait mécanique, donc moins impressionnante pour la plupart des gens. Il était physicien et avait un diplôme d’ingénieur en mécanique. Le titre français de son livre Énergie et bien-être par le mouvement ne lui plairait pas. Le titre original est La conscience du corps. Le travail de Feldenkrais est vraiment basé sur la mécanique du corps, la transmission squelettique et tout le développement neurologique de l’humain et même de l’animal. Tout un module de cours concerne l’exploration du mouvement aussi bien du ver de terre que de la chenille, du lézard, du mouvement à quatre pattes pour aborder les différents types de locomotion.

C’est une façon d’être relié à l’ensemble de ce qui vit ?

Et d’observer que la construction de notre mouvement d’humains s’est faite sur les bases du mouvement animal grâce auquel il est possible de retrouver la fluidité de nos mouvements et d’autres options. Vous pouvez marcher à quatre pattes croisées, à l’amble ou comme un chat qui se déplace une patte par une patte.

Vous vous amusez à faire ça pendant vos cours ?

Ah oui ! Il y a beaucoup de joie dans le mouvement. Lorsque j’ai des groupes de gens d’un certains âge, ils sont ravis d’attraper leurs pieds, de rouler en les tenant, de s’asseoir…

On redevient un peu enfant ?

On rajeunit en mouvements, oui. On peut prendre de l’âge en gardant la disponibilité du mouvement. Les gens disent souvent : «  À mon âge c’est plus possible, je vais pas faire ça… » Ces phrases toutes faites! On peut rouler par terre à tout âge, s’attraper les pieds.

Cette façon de renouer avec soi permet d’échapper aux images que nous donne de nous-mêmes la société. On réaccorde le corps et l’esprit comme le préconise Tchouang-tseu.

Oui. Moshe Feldenkrais s’est formé au judo, il a fondé la fédération française de ju-jitsu. Il est à la base de tout le développement du judo en France. On retrouve avec lui toutes ces pratiques orientales corps / esprit. En Europe on a différencié le corps et l’esprit, que l’on essaye heureusement de rapprocher depuis une trentaine d’années.

Je travaille avec des psychologues, des psychanalystes. Je suis intervenue au congrès de périnatalité qui a lieu à Avignon régulièrement. J’ai été parmi les personnes françaises  formées en Feldenkrais en suivant la formation délivrée à Rome en 1988 alors que j’étais toute jeune.

Le hasard qui n’en est pas toujours un, la possibilité de suivre plusieurs voies ont amené Christine Barrat sur la voie du Feldenkrais car cette pratique relie plusieurs composantes et crée des liens entre le corps, l’esprit, soi, les autres, l’intérieur et l’extérieur… la danse, le sport, la psycho.   

Feldenkrais est un lien avec bien d’autres pratiques et approches.

Je discutais un jour avec mon mentor Yvan Joly qui me confirmait que Feldenkrais regroupait beaucoup de choses. Après le bac j’ai eu du mal à choisir une voie parce que tout m’intéressait, j’aimais tout. Kiné a été la première étape qui permet déjà beaucoup d’ouvertures vers des milieux très divers. Le Feldenkrais regroupe encore plus de choses. C’est l’humain dans son entièreté. J’ai l’impression de ne pas laisser tomber une seule facette de la personne.

C’est là qu’intervient le profil de mes interlocuteurs préférés : intelligence en arborescence, autodidaxie ( curiosité permanente) et oxymores vivants qui dépassent les cases établies.

Je suis passionnée, intéressée par beaucoup de choses. J’ai l’impression que mon travail n’est pas du travail, que ce soit un dimanche ou le premier mai. Peu importe ! Le statut libéral est essentiel pour moi. J’aime décider par moi-même. Les charges à assumer sont nombreuses mais je suis libre. Je choisis où j’ai envie d’aller, quand… Si la méthode Feldenkrais ne permettait pas cette liberté et une découverte permanente, j’aurais déjà arrêté.

Vous découvrez toujours des choses ?

Ah oui ! J’ai l’impression que c’est presque infini. Comme je dirige des formations, je reprends régulièrement les bases des cours de Moshe Feldenkrais. Je remonte à la source pour l’adapter  en permanence : enseigner comme un perroquet n’aurait aucun intérêt. Chaque retour à la source provoque en moi une réaction : «  Tiens, ça, je ne l’avais pas entendu de cette manière… » Moshe a laissé trois mille cours environ ; il y a toujours à découvrir. Ses proches, ses étudiants ont enregistré ses cours, ses séminaires : c’est une grande chance.

Notre lecture actuelle s’enrichit de l’apport des neurosciences. Moshe Feldenkrais avait pressenti des choses que les neurosciences ont confirmées, comme la possibilité de récupérer après des accidents vasculaires, tout ce qui concerne les neurones miroirs.

C’est une approche holistique, donc le contraire des recettes proposées par le développement personnel.

Oui, c’est loin des recettes. Le praticien Feldenkrais  pose des questions, c’est son rôle principal. Un praticien Feldenkrais ne vous donne pas de recettes. La stratégie de Feldenkrais est de ne jamais aborder de façon frontale. C’est sa subtilité. Si une personne signale un problème, on ne va jamais d’emblée vers cet endroit qui est désigné. On passe autour pour observer, différencier tout ce qui se passe, par exemple autour d’une épaule qui pose problème pour réorganiser l’ensemble à travers ou autour de cette épaule.

Passer autour permet aussi de relier les disciplines et les gens, de croiser les pratiques en une forme de synesthésie humaine.

Notre travail comporte finalement autant de philosophie que de mécanique concrète. Nous ne forçons jamais. Je prends le chemin que ça prend facilement pour plier une jambe, par exemple et, à le faire plusieurs fois, d’autres chemins s’ouvrent et permettent de rejoindre en douceur le chemin direct qui était bloqué. Il n’y a donc jamais une recette a priori ni une série de mouvements préétablis à faire. Nous avons en revanche des séries de principes que nous avons expérimentés afin de créer une séance à chaque fois unique. Il faut avoir dans son répertoire un très grand nombre de manières d’agir pour sortir celle qui est pertinente et juste au bon moment. La pratique permet de réajuster en permanence le répertoire.

Nos premiers freins viennent de la pensée que l’on n’est pas capable. Même s’il y a un empêchement, il est préférable de se dire : «  Ce n’est pas impossible ». C’est la fameuse formule de Feldenkrais : «  Il faut rendre l’impossible possible, rendre le possible facile et esthétiquement satisfaisant pour soi-même. »