Culture
22 août 2025La culture trucule-elle ? Est-elle « florissante et joviale ? Voici le texte de la lettre ouverte adressée par Jack Ralite au Président de la République de l’époque. Inutile de dater ; on a l’impression que la situation de la culture, les enjeux et les contraintes ne changent pas depuis des décennies. Faire du ministère de la culture un tremplin pour l’élection à la mairie de Paris en témoigne : la culture dégringole. Cette lettre était lue le mercredi 20 août 2025 en ouverture des rencontres d’Hurigny.
« Monsieur le Président, je vous écris une lettre… »
Par nos engagements culturels, artistiques et citoyens, nous sommes fidèlement attachés à la politique culturelle française que nous entendons voir se développer selon le principe d’invention de la perpétuelle ouverture. Or, nous constatons que cette démarche après avoir marqué le pas connaît notamment par la politique budgétaire de notre pays une situation s’aggravant de jour en jour.
La culture se fissure
Beaucoup de ce qui avait été construit patiemment se fissure, voire se casse et risque même de disparaître. Le patrimoine dans sa diversité, le spectacle vivant dans son pluralisme, l’écriture, les arts plastiques, les arts de l’image et l’action culturelle sont en danger. Faute de crédits suffisants, de personnels, de négociations, de considération et de reconnaissance du travail humain, du respect des métiers, se répandent des malaises, des souffrances, des colères.
Le ministère se terre
Le ministère de la culture risque de n’être plus le grand intercesseur entre les artistes et les citoyens. Il perd son pouvoir d’éclairer, d’illuminer. Les collectivités territoriales dont le rôle est devenu immense en culture et en art voient leurs finances brutalisées et réduites par Bercy. L’Europe continue d’avoir une médiocre politique culturelle alors même qu’elle négocie avec les États-Unis un Traité de libre échange gravissime pour la culture. Google, l’un des accapareurs des nouvelles technologies à civiliser, limite les citoyens à n’être que des consommateurs et s’installe en Irlande pour ne pas avoir à payer d’impôts en France. Le travail est tellement livré au management et à la performance que les personnels se voient ôter leurs capacités de respiration et de symbolisation. On a l’impression que beaucoup d’hommes et de femmes des métiers artistiques sont traités comme s’ils étaient en trop dans la société.
La culture n’est pas un luxe (ni le marché du luxe)
On nous répond, c’est la crise. La crise ne rend pas la culture moins nécessaire, elle la rend au contraire plus indispensable. La culture n’est pas un luxe, dont en période de disette il faudrait se débarrasser, la culture c’est l’avenir, le redressement, l’instrument de l’émancipation. C’est aussi le meilleur antidote à tous les racismes, antisémitismes, communautarismes et autres pensées régressives sur l’homme.
L’économisation dévorante
Mais la politique actuelle est marquée par l’idée de « donner au capital humain un traitement économique ». Il y a une exacerbation d’une allégeance dévorante à l’argent. Elle chiffre obsessionnellement, compte autoritairement, alors que les artistes et écrivains déchiffrent et content. Ne tolérons plus que l’esprit des affaires l’emporte sur les affaires de l’esprit. On est arrivé à l’os et 50 ans de constructions commencent à chanceler. Les êtres eux-mêmes sont frappés, le compagnonnage humain s’engourdit. L’omniprésence d’une logique financière d’État installe une dominance sur les artistes. Nous craignons le risque du pire dans la demeure culturelle. Le Medef ne vient-il pas de réclamer le transfert à l’État des annexes 8 et 10 de l’Unedic relatives aux intermittents du spectacle.
« Chéri, j’ai réduit la culture ! »
L’urgence est de stopper l’agression contre « l’irréductible humain », là où la femme, l’homme trouvent le respect d’eux-mêmes et le pouvoir de reprendre force contre tous les raidissements normatifs, les coups de pioche, le mépris, l’arrogance. Il est temps à ce « moment brèche » d’accomplir la fonction du refus à l’étage voulu. Il y a besoin d’une nouvelle conscience alors que croît la tentation de réduire la culture à un échange : j’ai produit, tu achètes.
La tête et le cœur
La culture se décline au contraire sur le mode : nous nous rencontrons, nous échangeons autour de la création, nous mettons en mouvement nos sensibilités, nos imaginations, nos intelligences, nos disponibilités. C’est cela qui se trouve en danger et requiert notre mobilisation et notre appel en votre direction. L’histoire garde un geyser de vie pour quiconque a l’oreille fine et écoute éperdument. Encore faut-il renoncer au renoncement. L’homme est plein à chaque minute de possibilités non réalisées. Nous avons tous un pouvoir d’agir à mettre en marche. C’est avec ces idées en tête et au cœur que nous souhaitons, Monsieur le Président, vous faire part de notre vive inquiétude et vous demander de maintenir et de développer la politique culturelle.
N’arrête pas ton CHAR
Un budget minoré pour ce travail indispensable serait grave. Même le surplace conduirait à des agios humains et politiques, à un freinage dans la culture. La politique culturelle ne peut marcher à la dérive des vents budgétaires comme la politique sociale d’ailleurs avec qui elle est en très fin circonvoisinage. « L’inaccompli bourdonne d’essentiel » disait René CHAR. Nous vous prions de croire, Monsieur le Président de la République, en notre haute considération.
PS : les intertitres sont de Talpa.