Daniel Deroulet
26 mars 2025Au hasard des rencontres lors du Salon du Livre de Genève, pour cette édition 2025, une conversation impromptue avec Daniel Deroulet, qui était présent lors de l’hommage rendu à Michel Vinaver au TAMCO de Genève en septembre 2022.
Daniel Deroulet, qu’est-ce qui vous rapprochait de Michel Vinaver ?
Avant de publier sous mon nom, j’ai publié un livre sous pseudonyme parce que j’y racontais des choses que j’avais vues dans le bureau où je travaillais. Je ne pouvais pas les rendre publiques sous mon nom. Dans les années 80 j’avais découvert la préparation de la privatisation des téléphones. Aujourd’hui ça ne ferait rien, à l’époque, c’était un scoop ! On ne pouvait pas imaginer que les États allaient se priver de l’organisation du téléphone dans chaque pays. Les postes, téléphones et télégraphes faisaient partie du bien commun. J’ai donc produit un livre un peu romancé sur le sujet, qui a fait un certain bruit. Beaucoup plus tard j’ai publié sous mon nom. Une personne a demandé à mon éditeur : « Ce Deroulet ne serait-il pas le même qui avait écrit le livre sur le téléphone ? » Michel Vinaver est le seul à avoir fait le rapprochement. Il m’a écrit, on s’est rencontrés. J’ai commencé à m’intéresser à son œuvre que je découvrais. Nous sommes devenus amis. J’allais le voir chaque fois que je me rendais à Paris, il est venu en Suisse, on a fait des voyages ensemble ; notamment aux USA lorsqu’il y a eu sa pièce sur le 11 septembre 2001. Il a fait une tournée à Hollywood. Notre amitié a duré jusqu’à sa mort.
Qu’est-ce qui vous rapprochait ?
Vinaver a travaillé sous son vrai nom comme patron de Gillette. À 53 ans, il a décidé de se consacrer entièrement à l’écriture. Il m’avait dit : « Si vous voulez écrire, il faut arrêter de travailler. » Comme lui, je me suis arrangé pour arrêter de travailler à 53 ans. »
L’écriture n’est pas un travail ?
Non ; on dépense la vie que l’on a gagnée avant. Je n’i jamais pensé que j’allais être riche de l’écriture. Lui non plus, à vrai dire. Ce n’était pas sa motivation même si les droits, au théâtre, peuvent être intéressants. Il voulait écrire. Nous avions donc chacun eu une vie avant. La manière d’écrire aussi nous a rapprochés : ne pas en rajouter. Mon écriture est très sèche, encore plus que la sienne.
À voir les titres de vos livres, vous êtes à la frontière des choses.
Il faut trouver dans la littérature contemporaine un regard sur la science. C’est ce qui a exister au 19 ème siècle. Savoir où on en est avec la vérité scientifique pour la réintégrer dans la littérature. C’est ce que l’on a chez Flaubert où l’art et la science sont liés. Aujourd’hui les littéraires ne lisent pas de revues scientifiques. Les scientifiques ne lisent plus de romans, sauf peut-être à la fin de leur vie professionnelle. Vinaver s’intéressait davantage au monde des affaires ; moi c’est la science parce que j’ai fait des études d’architecte d’abord, avant de bifurquer vers l’informatique. À l’époque, celle-ci ne s’apprenait pas. Dans les années 70, il fallait apprendre par soi-même. On nous envoyait chez les constructeurs aux USA pour apprendre à faire marcher les machines ; mais il n’y avait pas de science informatique, ni de cursus dans les universités.
Je suis rentré dans l’informatique parce qu’il y avait une espèce de peur des architectes qui pensaient qu’on leur volerait leur métier.
C’est le même débat avec l’intelligence artificielle aujourd’hui.
Absolument. À chaque nouveauté technique ressort ce genre de débat. J’ai assisté à la fin des imprimeurs classiques…Si on avait dit à un écrivain, il y a trente ans, qu’il devrait envoyer son texte no n plus sur papier, mais sur disquette, sur un fichier, il se serait moqué de nous. Les architectes ? Jamais ils n’utiliseraient un ordinateur pour dessiner!
Je pense que toutes les techniques doivent être utilisées d’une manière ou d’une autre, ne serait-ce que pour les détourner. Comprendre ce qu’on peut en faire ou non. Il ne faut pas ne pas s’y intéresser en pensant qu’elles vont nous laisser tranquilles comme le croyaient les architectes qui disaient : « Moi, c’est tout dans la main… » Maintenant tout est dans le digital.
« Détourner », c’est faire sien.
Oui. On ne peut pas prendre la réalité comme elle arrive chez les vendeurs.
Vous seriez un peu rebelle ?
Je suis anar.