Désir

Désir

8 octobre 2025 0 Par Paul Rassat

Notre époque ne cesse de parler du désir, de futur désirable. J’ai donc demandé à Antoine, psychiatre et psychanalyste, une définition simple du désir. J’ai été servi. En attendant un « traitement oral du désir », voici ce que cet ami m’a transmis !

« LE DÉSIR NE MANQUE DE RIEN

Si le désir est manque de l’objet réel, sa réalité même est dans une “essence du manque » qui produit l’objet fantasmé. Le désir ainsi conçu comme production, mais production de fantasmes, a été parfaitement exposé par la psychanalyse… Mais même quand le fantasme est interprété dans toute son extension, non plus comme un objet, mais comme une machine spécifique qui met en scène le désir, cette machine est seulement théâtrale, et laisse subsister la complémentarité de ce qu’elle sépare: c’est alors le besoin qui est défini par le manque relatif et déterminé de son propre objet, tandis que le désir apparaît comme ce qui produit le fantasme et se produit lui-même en se détachant de l’objet, mais aussi bien en redoublant le manque, en le portant à l’absolu, en en faisant une «incurable insuffisance d’être», un «manque-à-être qu’est la vie». D’où la présentation du désir comme étayé sur les besoins, la productivité du désir continuant à se faire sur fond des besoins, et de leur rapport de manque à l’objet (théorie de l’étayage). Bref, quand on réduit la production désirante à une production de fantasme, on se contente de tirer toutes les conséquences – du principe idéaliste qui définit le désir comme un manque, et non comme production, production «industrielle»… Ce n’est pas le désir qui s’étaie sur les besoins, c’est le contraire, ce sont les besoins qui dérivent du désir ; ils sont contre-produits dans le réel que le désir produit. Le manque est un contre-effet du désir, il est déposé, aménagé, vacuolisé dans le réel nature et social. Le désir se tient toujours proche des conditions d’existence objective, il les épouse et les suit, ne leur survit pas, se déplace avec elles, c’est pourquoi il est si facilement désir de mourir, tandis que le besoin mesure l’éloignement d’un sujet qui a perdu le désir… Les révolutionnaires, les artistes et les voyants se contentent d’être objectifs, rien qu’objectifs : ils savent que le désir étreint la vie avec une puissance productrice, et la reproduit d’une façon d’autant plus intense qu’il a peu de besoin. »

Gilles Deleuze (1925-1995), Félix Guattari (1930-1992)

L’Anti-Œdipe, 1972