Du sens

Du sens

1 septembre 2023 Non Par Paul Rassat

«  Donner du sens » ? Il faut donner du sens au travail, à nos vies, à nos vacances. Donner du sens à la vie en société. Et, pour ce faire, faire société, faire sens. Comme si nos vies, à l’origine, n’avaient aucun sens. Nous recevrions une outre vide avec la charge de la remplir. Mettre du sens dans la vie comme les sportifs mettent de la qualité dans leur jeu. Comme nos dirigeants mettent, version Sarkozy, de la civilisation dans leur politique. Donner du sens à nos vies ? ( Photographie © Christophe Rassat)

Confusion

Le mot sens peut aussi bien signifier direction, orientation que signification. Sans oublier nos cinq sens qui nous relient au monde en une fabrique à analyses, émotions, sentiments.

Le sens de la vie

_ Le sens de la vie, s’il vous plaît ?

_ C’est tout droit, vous ne pouvez pas vous tromper. Oui, tout droit. À partir de votre naissance. Ah non, ne vous retournez pas pour vous rappeler le passé, vous compliqueriez les choses. Ce ne serait plus tout droit, ou alors à reculons…

   Il saute aux yeux du premier venu qui s’attarde un peu avant de repartir on se sait où en ligne droite que cette vision du sens de la vie est à la fois linéaire, donc simpliste, et fasciste dans la mesure où elle n’autorise aucune souplesse de manœuvre.

Le sens du travail

Si l’on entend tant dire qu’il faut donner du sens au travail, c’est inquiétant. Dans quelle mesure décidons-nous, humains, de nos vies ? Mais la conception du travail est le résultat de la façon dont nous construisons nos sociétés. Nos modes de vie en découlent alors que ce devrait être l’inverse. Notre travail devrait découler de la façon dont nous concevons nos vies. Alors, si notre travail, souvent, n’a aucun sens, on l’affuble d’ornementations telles que le mot VALEUR. À défaut de sens, le travail est une valeur morale pour ceux qui le subissent, une valeur qui enrichit ceux qui en décident. La polysémie du mot sens rejoint ici la polysémie du mot valeur. Sur cette confusion fonctionnent nos sociétés. Est-ce que tout ceci a un sens ?

Le hasard

«  S’il y a quelque chose au lieu de rien, c’est grâce à une catastrophe…quelque chose est issu de rien par l’écroulement d’un équilibre ». Et  Matthijs van Boxsel , dans son Encyclopédie de la stupidité de citer Lucrèce à propos du clinamen. «  Les atomes descendent bien en droite ligne dans le vide, entraînés par leur pesanteur ; mais il leur arrive, on ne saurait dire ni où ni quand, de s’écarter un peu de la verticale…Sans cet écart, tous, comme des gouttes de pluie, ne cesseraient de tomber à travers le vide immense ; il n’y aurait point lieu à rencontres, à chocs, et jamais la nature n’eût pu rien créer. » Lucrèce, De rerum natura, II, 217-224). «  Le hasard, selon Lucrèce, est la capacité de la nature à s’organiser spontanément. »

Du hasard à l’idiotie

Matthijs van Boxsel rappelle que l’idiotie consiste à « être seul dans son genre ».C’est ce qu’écrit Clément Rosset aussi. Ce qu’avait émis Paul Valéry. Alors, donner du sens à sa vie consiste à communiquer avec les autres pour prendre conscience de cette singularité. L’idéal serait de l’enrichir par ce moyen ; mais la plupart communiquent, au contraire, pour se fondre dans la moyenne, de diluer dans le standard, disparaître dans le réseau malgré leurs soubresauts provocateurs, narcissiques, complotistes. Allez trouver du sens dans tout ça !