« Dune », le souffle épique de l’épice
17 septembre 2021Cette dernière adaptation de « Dune » garde à la perfection l’esprit de Frank Herbert. Une œuvre de science fiction intelligente, c’est-à-dire dont le propos dépasse l’intrigue. L’histoire racontée et montrée porte une véritable réflexion holistique sur le monde. Tous les enjeux y sont abordés. Les religions, le spirituel, la politique, les intérêts de tous ordres : le pouvoir, l’argent, la domination, la colonisation, les matières premières, l’écologie, le biomimétisme, l’adaptation aux changements naturels. Dominer, exploiter ou s’adapter ?
Le souffle épique
On pourrait se perdre dans cette profusion de thèmes. Denis Villeneuve et son équipe ont eu l’intelligence de ne pas se noyer dans une profusion d’effets inutiles. Ils ont donné à ce film une véritable dimension épique, philosophique, mythologique. Cet élan fédère toute l’histoire qui repose, comme toujours, sur les ressorts qui nous animent, quelle que soit l’époque ou les outils utilisés pour arriver à nos fins. Dans ce feuilletage complexe d’intérêts privés et collectifs, les Bene Gesserit (littéralement « Celles qui se seront bien comportées) transcendent par leurs dons et leurs objectifs toutes les visions partielles de la marche du monde. Elles font penser aux sorcières d’autrefois.
Une approche théâtrale
La véritable trouvaille consiste à proposer une mise en scène de théâtre. Dialogues en gros plans sur fond gris. Décor intemporel : constructions futuristes ? Temples de l’antiquité ? Certaines scènes de guerre font penser à L’Illiade. Les enchaînements de plans alternent l’action, le dialogue et la contemplation à dimension introspective. La représentation d’une narration a valeur avant tout initiatique. On étudie souvent l’Odyssée en retraçant le parcours d’Ulysse. Il s’agit en réalité d’un parcours personnel, intime dont l’Odyssée est la métaphore. Même les fameux vers qui sillonnent la planète Arrakis font penser à certaines représentations du monstre Scylla, pendant de Charybde.
Frank Herbert, Tolkien et le langage.
Tolkien, linguiste, a écrit des récits pour que des personnages puissent incarner les langues qu’il avait créées. Le langage, les langues et la communication en général sont le cœur de Dune. Langues, dialectes, niveaux de communication, langue des signes, télépathie, langage des rêves. Et puis cette maîtrise du langage poussée à l’extrême qui fait penser au roman de Laurent Binet « La 7° fonction du langage ». Le pouvoir qui y est attaché permet de convaincre tout interlocuteur d’agir selon la volonté de celle ou celui qui détient ce pouvoir exceptionnel.
Extrême modernité
Les enjeux commerciaux, la nouvelle colonisation par la recréation de routes de la soie, des épices ou désormais des matières premières créent les tensions que nous vivons aujourd’hui. Les guerres religieuses sévissent un peu partout autour de nous. Le jeune héros, Paul, ne veut pas de guerre religieuse en son nom : Charlie Hebdo ? La réalisation de Denis Villeneuve sert à la perfection ces échanges entre une fiction apparente et notre réalité. Et puis..il y a tant de références, aux Atrides, à d’autres symboles, choisissons celui-ci. Le prénom Paul, dérivé de Saul, nous renvoie à Saint Paul, qui incarna la religion chrétienne après avoir combattu ceux qui la portaient. Revirement, comme celui du héros de Dune qui refuse d’abord le pouvoir avant de l’incarner humainement, généreusement, de manière éclairée. Il constitue en cela le grain de sable imprévu capable de contrecarrer sur Dune le plan machiavélique conçu contre la liberté, pour le profit. À voir malgré la critique fadasse du Canard Enchaîné.