Édouard Hue, danser en toute liberté
20 mars 2022Rencontre avec Édouard Hue, danseur-chorégraphe qui expérimente le chemin de la liberté grâce à la danse.
Danser, bâtir, organiser
Beaver Dam est le nom de votre compagnie. Il serait donc question d’un castor ?
Beaver Dam, c’est le barrage de castor. Je voulais qu’il y ait un animal dans le nom de ma compagnie, sans connotation prétentieuse. Le castor ? Parce que j’aime bien l’esprit de travail d’équipe, de bâtisseurs. Parce qu’il s’agit de construire ensemble une bonne maison. Le castor participe positivement à l’écosystème alentour. Le barrage constitue aussi une métaphore par rapport à la rivière qu’il peut bloquer, dévier.
Peut-être aussi l’idée de fabriquer en permanence, de réajuster, de réadapter.
On revient effectivement au principe des bâtisseurs. La construction, l’organisation me parlent bien.
Le corps et l’esprit
La dimension animale renvoie au corps. La danse associe le corps et l’esprit au service d’une intention pour créer du mouvement et de la liberté.
Effectivement. J’ai commencé à faire de la danse pour me sentir libre, faire ce que je veux. Libre non seulement en termes d’action mais aussi de sensations, d’émotions. Il s’agit de retranscrire le plus justement ce que le corps ressent. Cette puissance est propre à la danse. Elle nécessite une part d’abandon de la tête. Le résultat peut paraître très abstrait mais il vit d’émotions et de sensations retranscrites le plus justement possible.
Comment recevoir la danse
Comment le spectateur doit-il voir, ressentir ce que vous décrivez du point de vue du danseur ?
Je dirais qu’il ne faut pas réfléchir, prendre les choses comme elles viennent. Comme quand on regarde un tableau. Les peintures de Marc Limousin, par exemple, sont très abstraites ; il ne s’agit pas de chercher à les comprendre mais de les regarder et de ressentir leur impact sur soi. La démarche est exactement la même pour la danse. On est dans l’émotion et non dans la compréhension. Il est possible d’y introduire de la narration, comme dans Yumé et de travailler à différents niveaux de lecture avec le public.
Laisser sa part à l’imaginaire
Il est important que le spectateur ait aussi une liberté dans la vision, l’écoute d’une œuvre. Il doit pouvoir sentir les choses à sa manière.
C’est très important pour la danse. Il faut permettre à l’imaginaire de se développer. Les spectateurs doivent pouvoir s’évader pour de faire chacun sa propre image. À la fin de mes spectacles on me dit généralement « Moi j’ai vu ça — Moi j’ai vu d’autres choses… » Cette diversité de réceptions et d’interprétations me montre que mon intention était juste. Je propose une voie, un chemin.
Éduquer les enfants à la liberté par la danse
D’où l’intérêt de créer pour des enfants. Vous participez à une éducation à la confiance en sa propre interprétation. C’est le contraire de ce qu’impose l’école en général. (Rires partagés).
J’avais envie de m’adresser à un jeune public. Il me semble que j’avais à proposer quelque chose de cohérent en termes de poésie et d’aventure. Comme les enfants aiment qu’on leur raconte des histoires, le spectacle comporte une dimension narrative. Il faut davantage de maturité pour se dire « Je ne cherche pas à comprendre, je reste dans la sensation. » Il est important de commencer très tôt à développer son esprit, son imagination pour apprécier ensuite un éventail de plus en plus large de créations. Quand la danse contemporaine bloque avec le public, c’est qu’il n’y a pas suffisamment de lâcher prise du côté de celui-ci. Aimer ou non est une autre question.
Travail et création ?
Tout chorégraphe est d’abord danseur. Comment passe-t-on de l’un à l’autre ?
J’ai d’abord été danseur, effectivement. Je le suis toujours dans mes créations. Le passage s’est fait très naturellement pour moi. J’avais envie de créer ma compagnie. J’ai commencé par un petit duo et continué en parallèle de mes activités de danseur. J’ai arrêté de travailler pour d’autres personnes en 2016 / 2017.
Danser pour le bonheur
Dans Faites danser votre cerveau Lucy Vincent explique que la danse produit des endorphines et de l’ocytocine, donc une sensation de bonheur. La danse a bien d’autres vertus encore.
En tout cas la danse fait travailler l’intégralité des muscles, ce qui est extrêmement rare. À l’opposé, les sports font presque toujours travailler les mêmes muscles.
Liberté et curiosité !
Vous intervenez en milieu scolaire ?
Je l’ai fait pendant plusieurs années lorsque j’étais en résidence à l’Auditorium Seynod. J’ai dû arrêter à cause du développement de la compagnie. En EPS, les lycéens doivent obligatoirement avoir un cursus basé sur la création artistique. La danse en fait partie. Les professeurs n’y sont malheureusement pas formés. La grande différence avec un sport est que pour celui-ci, que vous sachiez jouer ou non, il y a des règles. En danse, il n’y a en pas. D’où la nécessité d’une vraie formation. Qui dit — Pas de règles, dit — Pas d’objectif. Il n’y a pas de vainqueur.
[Serait-ce la véritable liberté ? La conversation se poursuit. Il est question des études, d’intelligence, de curiosité, d’ouverture des artistes au-delà du monde culturel]
Il y a un monde réel au-delà de la culture. Je trouve que c’est passionnant !