En poésie, écouter, parler, vivre
4 avril 2023Rencontre avec Michael Edwards, académicien à la fois anglais et français. À cheval sur deux pays, deux langues mais particulièrement ouvert à la conversation et à l’humour. Il parle la poésie et vit en poète. Voici un court extrait, les premiers moments, de ce qu’a été notre rencontre chez lui, à Paris L’intégralité du texte fera partie d’un livre à venir dont le titre, L’oxymore existentiel, pourrait bien reprendre une formule remarquable relevée dans l’un de ses livres intitulé Dialogues singuliers sur la langue française. Être à la fois singulier et pluriel dans le cadre de dialogues permanents avec soi, les autres, le monde…
( Photographie de Michael Edwards dans son appartement parisien © Christophe Rassat)
—J’essaye toujours de parler aux gens, même quand j’écris des livres. Je dis d’ailleurs que je n’écris jamais de livres, je les parle. J’ai fait beaucoup de livres à partir de mes cours au Collège de France. J’y parlais aux gens.
Pas n’importe lesquels.
Il est vrai. J’essaye néanmoins de dire avec précision mais sans jargon ce que je pense. Je ne suis pas un philosophe ou un critique littéraire professionnel féru de jargon. Je suis un poète qui écris sur les choses qui m’intéressent.
Vous venez déjà de dire quelque chose de très complexe : « Je suis un poète. » Auriez-vous une définition simple de la poésie ?
Oh oh ! (presque chanté). Vous avez plusieurs heures devant vous ? Il me semble que la poésie est très complexe. Pas difficile, complexe. Je pars de l’existence de la langue. Un poète écoute sa langue. Les sons de la langue. Ensuite, il voit comment une langue, en nommant le monde, le met ensemble. Les phrases que nous parlons et écrivons sont gérées par la syntaxe, par la grammaire. C’est pourquoi même en parlant simplement, comme en ce moment, on crée un monde non pas à part, mais un peu différent du réel. Si je parle de cette table Louis XIII, par exemple. Ce « Louis XIII » s’élève un peu au-dessus de la table elle-même. Elle n’est que du bois travaillé…La langue, déjà, me semble une sorte de vision du monde où le réel participe à l’aventure humaine. Ou, pour le dire dans l’autre sens, notre humanité entre dans le réel en le nommant. C’est le moment où Adam nomme les animaux dans la Genèse. Il y a déjà dans la langue ordinaire d’une lettre, d’un courriel cette merveille d’un rapport nouveau créé avec le réel. Quand j’écris un poème, je suis conscient que tout cela est vrai, mais multiplié par mille ! Dans un poème, tous les sons sont ce qu’il faut qu’ils soient. Chaque syllabe doit sonner exactement comme il faut. Chaque mot est placé là où il faut. Très souvent, dans la poésie, on ne met pas les mots exactement dans l’ordre du parlé. Jusqu’au XIX° siècle surtout, il y avait beaucoup d’inversions. « Traversant de Paris le fourmillant tableau… » [Les petites vieilles, Baudelaire] L’inversion est le signe même de ce que la poésie veut faire quelque chose avec la réalité. Pourquoi écrire en vers, s’arrêter avant la marge ? Quelquefois, on utilise des rimes. Si on ne rime pas, on fait sonner les mots les uns avec les autres. On écoute la mémoire des mots. Chacun d’eux est plus vieux que nous.