Éric Besnard, un cinéma qui fait confiance à l’intelligence

Éric Besnard, un cinéma qui fait confiance à l’intelligence

19 août 2021 Non Par Paul Rassat

Conversation avec Éric Besnard. Il y est question de son film Délicieux, de celui qu’il est en train de tourner, de celui qu’il tournera ensuite. L’esprit républicain, la confiance en soi et l’affirmation de sa subjectivité, l’amitié, l’éducation animent cet échange. Délicieux est un film engagé. S’il ne défend pas directement des idées politiques, des slogans, il plonge le spectateur dans une véritable réflexion. Celle-ci infuse, s’enrichit de touches diverses, à la manière d’un bon vin ou d’un plat dont le goût se développe. Voire d’un parfum avec ses notes de tête de nez et de cœur.

Raconter des histoires mais pas n’importe quoi

Est-ce qu’on peut dire que vous êtes avant tout un conteur ?

Un raconteur d’histoires, oui. Je me reconnais dans cette identité.

Comment est née l’idée de votre film ?

Elle vient d’une réflexion politique au départ : « Qu’est-ce que l’identité française ?  Qu’est-ce qu’être un metteur en scène français, dans notre identité française ? Parmi les axes de travail auxquels j’ai pensé, les Lumières m’ont semblé être un moment clé du modèle français. Dans mes recherches je suis tombé sur la création du premier restaurant. Je me suis rendu compte que c’était le vaisseau idéal pour traiter de mon sujet dans l’esprit de Condorcet. La subjectivité reconnue à tous, la capacité de chacun à prendre confiance en soi comme message de la Révolution française. Je me suis retrouvé avec en abscisse la Révolution française et en ordonnée la gastronomie. J’étais bien dans le modèle français.

Le cuisinier cuisiné comme une métaphore

Avec comme point de rencontre la création du restaurant.

Le tout partant d’une réflexion politique. Il est évident aussi que le cuisinier est une métaphore du metteur en scène. Le parallèle entre le restaurant et la salle de cinéma semblait évident lui aussi. La narration, la subjectivité, l’organisation du service (« l’argonomie »), le fait de sortir pour aller au spectacle ou au restaurant [qui peut être un spectacle]. Ce parallèle m’excitait.

Un restaurant et un concept ouverts

Votre film est un restaurant qui va sous le même toit du routier au trois étoiles. Chacun peut s’y nourrir et y trouver son compte.

C’est un restaurant « mythologique », oui. Je tenais à ce qu’il se situe en Province. Je ne souhaitais pas tourner à Paris où est né le premier restaurant, au Palais Royal. Il m’aurait fallu plus de moyens. Je ne souhaitais pas être prisonnier d’un biopic et la gastronomie ne se limite pas à Paris. C’est la France. Effectivement, c’est l’histoire du premier routier et du premier gastro trois étoiles. [Cette manière de procéder et de situer l’action en Province permet de faire entrer le monde dans une salle de restaurant : nouvelles du pays, idées révolutionnaires et philosophiques, rencontre de la noblesse et du peuple…]

Si vous aimez la bonne chère cela a dû vous faciliter la tâche.

Je voulais d’un cinéma qui fasse appel aux sens.

Divertir et instruire

Vous semblez avoir un malin plaisir à enfumer les gens, à faire jouer des rôles à vos personnages. On retrouve cette approche dans Cash, par exemple. Elle participe de cette recherche d’identité.

Je crois beaucoup au feel good movie. J’aime créer du sourire. Cash voulait être pétillant. L’astuce, l’arnaque étaient construites sur l’idée que tous les personnages étaient intelligents. Les personnages de Délicieux permettent de parler des classes sociales de l’époque et de créer aussi un parallèle avec aujourd’hui. Ils sont des symboles, plus qu’eux-mêmes.

Le principe d’une bonne œuvre est justement de faire passer plus qu’elle ne montre.

C’est effectivement ce qu’il faut essayer de faire tout en restant du côté du divertissement et en s’adressant au plus grand nombre.

Aux cinémas Pathé/Annecy

Rencontre entre la fiction et l’actualité

Un film se pense et s’élabore longtemps à l’avance. Il se trouve que le vôtre fait l’éloge du restaurant et sort alors que les restaurants sont dans la difficulté.

Je n’avais pas prévu cette situation. Ce projet a plus de trois ans. Il est terminé depuis plus d’un an. Parfois l’Histoire vous rattrape et vous devenez l’étendard de quelque chose que vous ne pensiez pas porter.

La patate ne suffit pas, il faut aussi la confiance en soi

Revenons à un point important de votre film, la pomme de terre. L’opposition entre les produits aériens, nobles, et ceux de la terre réservés au peuple.

 C’est la bêtise de l’aristocratie qui se plie au diktat de la Cour et de l’Église. Je souhaitais montrer quelque chose qui soit à la fois absurde et juste historiquement. La pomme de terre a mis cent ans à s’imposer en France et la truffe était réservée aux cochons. Ça me permettait, au regard de notre époque, de montrer que mon personnage avait raison et était en avance sur la sienne. Malgré cela, il ne peut pas échapper seul à sa condition sociale. Il lui faut le regard et le soutien des autres, de son fils, de la femme qu’il rencontre. C’est eux qui lui donnent confiance en lui.

Où il est question d’ennui

Votre casting est excellent. Une fois vos acteurs réunis, vous n’avez plus rien à faire ! (rires).

Les quatre acteurs principaux sont des acteurs de théâtre. Il n’a pas été facile de les réunir. [Il est alors question de la justesse de ton, des nombreuses références, dont Mirabeau connu aussi pour ses écrits pornographiques. Des relations littéraires, artistiques entre sexe et nourriture…] Ce film part aussi l’ennui de l’aristocratie au XVIII° siècle. Il est le 3° à traiter ce thème. Il y avait eu Que la fête commence qui l’abordait par le sexe, Ridicule l’approchait par le verbe et Délicieux par la gastronomie. Dans les trois, ce sont les classes dirigeantes qui s’ennuient.

Savoir apprendre

Au point d’être presque uniquement dans l’apparence et dans l’apparat. La présentation des plats reprend la recherche vestimentaire et les perruques. À l’opposé, la nature est presque idéale, les produits sont vrais.

C’est vrai. Mais ceci ne suffit pas. Le déclencheur est la confiance en soi. Le délicieux de mon personnage est ce chausson, mon délicieux à moi est le film. Nous avons chacun notre délicieux. Il nous permet cette confiance qui autorise à exprimer sa subjectivité plutôt que de se faire imposer un modèle objectif écrasant. S’il y a un message, il est là.

Vous faites dire à Isabelle Carré « Je sais apprendre. » C’est fondamental.

C’est le plus important. On parle d’apprendre à apprendre. C’est ce qu’on demande à nos enfants. C’est aussi ce que les adultes, devenus de purs consommateurs, oublient. Je suis parti du modèle républicain qui correspond à ce que nous évoquons là.

D’un film l’autre, le fil conducteur d’Éric Besnard

Vous vous présentez aux élections ?

Non, mais je vais réaliser un film qui traitera de l’éducation et du modèle de l’école républicaine.

[ Entre temps, Éric Besnard tourne un film pratiquement à deux personnages. Il s’agit de la naissance d’une amitié, avec Grégory Gadebois et Lambert Wilson. Notre conversation de tenait entre deux lacs, celui de Genève d’où il venait pour son tournage, celui d’Annecy, où il sera samedi pour présenter Délicieux au public]