Évelyne Garlaschelli

Évelyne Garlaschelli

5 mars 2024 Non Par Paul Rassat

Rencontre avec Évelyne Garlaschelli, présidente pour peu de temps encore de l’association Cancer du Sein, Comité de dépistage en Savoie et Haute-Savoie. ( Photo©Christophe Rassat : Évelyne et son époux).

La création de notre association date de 2002. Elle est liée au lancement du premier plan cancer par le Président Chirac, initié par les grands cancérologues de l’époque comme les professeurs Israël, Khayat. Des femmes pionnières ont créé notre fédération et ont sensibilisé le public au travers des journaux, des magazines, comme Marie Claire et autres, à ce problème de santé publique de plus en plus fréquent qu’est le cancer du sein. Elles ont rencontré Douste-Blazy qui était alors le ministre de la santé et a été très sensible à cette cause. Alors qu’elles souhaitaient un jour de prévention en octobre, c’est devenu un mois plein ! Et même au-delà. « Octobre rose, avec vous, c’est toute l’année » dit mon époux. Le principe de la prévention était totalement novateur . On ne disposait que de la mammographie par l’image, qui reste le meilleur outil aujourd’hui.

Les pouvoirs publics et notre fédération ont été particulièrement pertinents en décidant d’actions de proximité. Les pôles de cancérologie se mettaient en place par régions, un quadrillage de la France s’installait. Il fallait un relais entre les centres, les médecins et les personnes pour développer par départements une structure qui associe les médecins radiologues référents assurant une mammographie de qualité, avec double lecture et autres critères comme le contrôle des appareils, avec une association locale, comme ici en Haute-Savoie,  un relais qui porte le message.

J’exerçais encore ma profession d’avocate. Je sortais de cette épreuve quelques années auparavant. Ma spécialité étant le droit social, le droit du travail, le monde de l’entreprise, j’avais déjà un intérêt naturel pour les autres.

J’avais traversé l’épreuve du cancer en 1997, nous étions en 2002 : après cinq ans, on peut considérer qu’on est tiré d’affaire. L’une de mes amies qui était médecin au département m’a sollicitée : elle réunissait cinq autres personnes pour créer cette association de sensibilisation du public à la prévention et au dépistage. On ne savait pas vraiment comment s’y prendre ! Au bout d’un an, j’ai succédé à Francine Romanet à  la présidence. La structure était déjà là, avec la sensibilisation par l’art, photographie, peinture, expositions. Quelques années plus tard, nous sommes allées vers le sport. Nous associons l’information, le dépistage, la prévention avec  l’image de soi, la reconstruction. C’était novateur, je le redis ; à l’époque on ne parlait pratiquement pas du cancer ! Peut-être que l’espoir de guérison étant désormais plus important, le regard et la parole sont plus libres. L’efficacité de la prévention s’en trouve renforcée car la précocité du diagnostic permet de guérir plus de 90% des cas. La thérapeutique a fait d’énormes progrès.

Nous avions décidé d’aller vers les patient-e-s. Les statistiques sont une chose, l’aspect humain est lui aussi très important. Par un effet miroir, nous donnons de l’espoir. Pour cette raison l’équipe n’a jamais été dans le pathos.

Notre premier grand événement a été un concours photo et une exposition que nous avons fait ensuite circuler dans des lieux où les femmes étaient éloignées du dépistage. Nous partions de loin ! Nous organisions des stands dans les forums associatifs et autres. Un médecin coordinateur du département nous a formées et nous avions toujours le soutien de la fédération qui nous a tout de suite recommandé de nous appuyer sur le tissu local, les communes. Nous avons écrit à tous les maires puisqu’il y avait un partenariat avec tous les maires de France. Nous avons proposé à chaque mairie de relayer le message de prévention. Notre démarche a été assez bien accueillie, même s’il a fallu parfois un peu de temps à certains. Aujourd’hui, deux tiers  des communes de Haute-Savoie nous suivent ; ça démarre bien en Savoie. On pourrait presque dire que nous faisons mieux que les politiques puisque nos deux départements se rejoignent dans une action commune.

Une anecdote. Le maire d’une commune proche d’Annecy ne nous a pas suivies à l’époque parce la couleur rose était alors associée à la cause écologique portée par Dominique Voynet. C’était consternant.

Avec Marie-Line Cancel

Peut-être la place plus importante et visible de la femme dans la société a-t-elle fait évoluer les choses en même temps que la cancérologie progressait. Les mentalités et la médecine, combinées, ont ouvert à une plus grande efficacité. On peut évoquer ici la chirurgie esthétique. Elle a été mal comprise au départ. Suzanne Noël a réparé les Gueules Cassées, mais aussi les ventres, les seins. Elle a écrit une thèse sur le rôle social de la chirurgie esthétique.

Ce qui a d’abord freiné, puis accéléré l’écoute des médecins et du public, c’est que le sein est un symbole féminin, sexuel, représentant la vie.

L’action qui m’aurait le plus marquée ? Le livre que nous avons édité pour nos cinq ans, à partir d’un atelier d’écriture. C’était pour moi une aventure un peu inaccessible à laquelle j’ai été poussée par Christine, une amie qui évoluait dans le milieu littéraire. Nous avons réuni sept femmes qui ont témoigné sur des thèmes que nous choisissions : corps, cheveux, sexualité, famille, peur…

Le cancer apparaît comme une destruction. Vous prenez le contre-pied grâce à l’art, à l’écriture qui relèvent de la création.

Oui . Il y a eu ensuite le challenge d’une course et d’une marche pour les femmes, en 2007, tout en rose. L’occasion d’une incroyable communion avec la musique, le sport qui nous a permis de réunir des gens pour parler ensemble de ce sujet. Le livre issu de notre atelier d’écriture relève d’une démarche plus confidentielle mais je suis touchée qu’on s’adresse à moi pour en acheter quelques exemplaires qui nous restent et les offrir autour de soi. Ces textes courts permettent de partir du ressenti de celles qui ont écrit, de le partager, de s’y retrouver. De partager éventuellement sa propre peur et de se dire qu’il est  naturel  de l’éprouver.

Le Comité vaconnaître un autre envol, vous prenez bientôt un peu de recul ; y a-t-il des pistes que vous aimeriez voir se renforcer, évoluer ?

Nous avons fait beaucoup de choses sur le sport, il reste aussi beaucoup à faire. La recherche nous y aide et notre territoire nous y encourage. L’esprit sportif y est très poussé à travers de nombreuses disciplines. Les actions vont donc se poursuivre, peut-être avec un accompagnement plus professionnel en concertation avec les médecins, les oncothérapeutes… J’aimerais qu’on aille davantage vers l’art. Notre défilé caritatif, dont le thème sera « la plume », verra sa 3° édition en septembre prochain. La plume, donc le déguisement, le masque, le costume, l’écriture… Il associe la création, une image de soi positive malgré les traitements et la chute des cheveux. La création permet de rester dans le beau. Elle s’exprime par la musique, par le théâtre, comme ce on man show qui aura lieu le premier octobre prochain : La chauve souris !

En matière de musicothérapie, nous avons un partenariat avec l’hôpital. Les campagnes nationales sont importantes, nous les complétons par nos actions de proximité.

Je transmets la présidence de notre association à notre amie Véronique. Elle va apporter un autre regard, une autre manière de faire, mais toute l’équipe, très chaleureuse,  va l’accompagner. La nouvelle présidente est juriste, comme moi. Elle a créé l’association des Drôles de rames ( Les Dragon Ladies du Lac d’Annecy), ce qui montre qu’elle a de l’humour. Parmi les pistes à suivre, il faudra vraisemblablement renforcer nos liens avec d’autres associations comme À chacun son Everest de Christine Janin. Les bases sont là, il est maintenant possible de renforcer et d’ouvrir notre champ d’action.