Glen Baxter à Annecy

Glen Baxter à Annecy

16 avril 2023 Non Par Paul Rassat

La Fondation Salomon pour l’Art Contemporain accueille des dessins de Glen Baxter à La Fabric  jusqu’au 16 septembre 2023. Conversation avec Isabelle Gounod, qui est la galeriste parisienne de l’artiste.

Un trait de Beckett

Je connaissais évidemment les dessins de Glen Baxter. Il y a très longtemps son galeriste cessait son activité et m’a proposé de m’occuper de Glen.  Comme c’est un artiste incroyable, j’ai demandé quelques jours pour prendre ma décision. Je me suis mieux documentée et j’ai vu, à un moment, des références à Samuel Beckett. J’ai dit Ok ! Je suis allée le voir à Londres. Ceci s’est fait naturellement parce que je suis à moitié anglaise.

Un regard d’enfant sur le monde

Vous retrouviez avec Glen une forme d’esprit que vous portiez déjà.

L’humour, la distanciation. Vous me demandiez comment je peux être la galeriste à la fois de Jérémy Liron et de Glen Baxter. C’est la poésie qui guide mes choix. Il y a dans le travail de Glen Baxter le regard de l’enfant sur le monde. Il en observe de façon très lucide l’incongruité et l’absurdité. Lorsque Glen était étudiant aux Beaux Arts de Leeds, les gens étaient particulièrement intéressés par la peinture non figurative, par l’abstraction. Lui, en revanche, pratiquait la peinture figurative et il écrivait des poèmes. En sortant des Beaux Arts, il a réalisé des dessins qui enchantaient ses amis, qui les faisaient rire. Il a été invité à venir dire ses poèmes à New York. Très vite, la salle a été hilare. C’est sans doute sa proximité avec le surréalisme qui a joué. Il a découvert André Breton lorsqu’il avait 18 ans et a tout de suite considéré que le surréalisme était sa famille.

Ne pas traverser la rue mais être déjà sur le trottoir d’en face

Vous associez les surréalistes et Beckett !

Exactement.

La poésie balaye tout ce qui est superflu pour créer un lien direct avec la réalité.

Elle est une façon de se mettre de l’autre côté du trottoir et de voir les choses avec un angle différent, qui passe par la littérature, par le langage. Ceci crée une distance permettant un échange entre l’œuvre d’art et nous. Le rapport à l’œuvre est physique, mais cet espace va-t-il faire naître en nous un écho ? Comment va-t-on le remplir ? C’est à la fois impalpable et là !

Le « frisson »

Le graphisme, les couleurs nous invitent à entrer dans chacun des dessins.

« La disparition » de Perec, un roman entier sans la lettre « e », et sans « eux, sa famille disparue dans les camps nazis.

Parce que le point de départ est le quotidien. Et puis Glen utilise un papier de fabrication artisanale qui donne ce grain. Vous pouvez remarquer qu’il y a beaucoup de passages de couleur. Il travaille le dessin comme un peintre. Prenez le dessin de Perec «  Laisse tomber cette voyelle, doucement… ». Cette voyelle, on ne la voit pas tout de suite. Cet autre dessin. «  Changer la roue d’une équipe rivale a toujours été un plaisir pour nous. » On voit une voiture, des gens qui s’affairent autour… et on ne voit les roues qu’ensuite. C’est ce qu’on appelle en anglais le « second take ». C’est en retournant dans le dessin qu’on s’aperçoit que l’on n’a pas tout vu la première fois. Glen appelle ça «  le frisson ». C’est ce moment où dans un dessin vous allez chercher quelque chose de drôle mais, en fait, il n’y a rien et vous êtes déstabilisé. Ou bien il y a quelque chose de drôle que vous n’avez pas vu et vous en êtes déstabilisé aussi.

L’incompréhension du monde comme moteur

Cette histoire de frisson vient aussi de son enfance. Il était bègue. D’où des stratégies pour arriver à s’exprimer. Revenons au frisson. Glen possédait certaines lettres de l’alphabet, mais pas tout. À Leeds, il ne comprenait pas ce qui était écrit sur les magasins. C’est ce moment qu’il recrée en permanence «  Je ne comprends pas ! »

Vous parliez de Beckett. Je pense que l’absurde est plus une ouverture vers l’espoir qu’une dimension négative.

Glen termine ses mails par «En avant ! » Ses personnages, cowboys, boys scouts relèvent d’une fausse naïveté. Mais «  On y va ! » C’est très anglais.

Des phrases «  twisted »

Le dessin montrant la contrebande de Roquefort est remarquable et confirme ce que vous disiez. On n’aperçoit pas tout de suite la souris, qui donne pourtant tout son sens à l’œuvre.

Je viens de l’apercevoir alors que je connaissais ce dessin. Quand j’ai rencontré Glen à Londres, pour la première fois je lui ai dit «  Je n’ai pas de problèmes avec Shakespeare, il me faut simplement un dictionnaire à l’occasion. Mais avec vous ! Vos phrases sont « twisted ». J’avais l’impression d’être sur une patinoire. Glen est resté silencieux. Il m’a regardée. Puis il m’a dit «  Lorsque j’étais enfant, j’étais bègue. » J’ai compris. Le texte, il doit l’avoir en bouche.

La discussion porte encore sur la poésie, l’explosion des catégories préétablies, la création. Un véritable plaisir que de poursuivre ce chemin en arborescence.

L’absurde et le hors champ vus par Talpa

Notons que les flèches qui apparaissent sur les dessins de Glen Baxter sont tirées par des Indiens que l’on ne voit jamais. Ils sont hors champ. Glen avance qu’il est plus approprié de ridiculiser les Indiens que les cowboys. Mais, au fond, ces flèches pourraient venir de partout : du quotidien, d’ailleurs. D’une intrusion de l’ailleurs dans notre monde organisé et bien rangé comme apparaissent les lignes sur les chemises à carreaux des cowboys. Les dessins de Glen Baxter sont la rencontre de l’ordre et de l’imprévu, voire de l’incongru : un rhinocéros et un filet à papillons. La cuisine suisse y est aussi débrouillarde que le couteau helvète. L’organisation poussée à l’extrême provoque l’absurde. À vouloir tout garder sous contrôle, on perd celui-ci.

Question d’équilibre

C’est paraît-il la première fois que tant de réalisations de Glen Baxter, une quarantaine, sont réunies. Le choix a été assez judicieux pour mêler pratiquement autant de dessins se référant à des peintres qu’à la cuisine. Bel équilibre gastronomique et artistique ! La cuisine suisse, le bœuf bourguignon (bien regarder le chapeau à droite), le « picnic », le roquefort, la fondue…voisinent avec Rothko (à lire au 2° degré), Rembrandt, Mondrian, Bacon. Le dessin réalisé sur demande pour illustrer l’affiche de l’exposition montre un sommelier à skis. Alors que Glen ne connaissait pas l’histoire de la famille Salomon.  L’intuition, comme l’humour, court-circuite avec bonheur les logiques établies.