Jacques Monory, une conversation permanente avec le réel

Jacques Monory, une conversation permanente avec le réel

5 octobre 2021 Non Par Paul Rassat

Jacques Monory est exposé à l’Abbaye par la Fondation pour l’Art Contemporain Claudine et Jean-Marc Salomon. À l’occasion du vernissage, Talpa a pu s’entretenir avec Paule Monory.

Une peinture puissante

Paule Monory, qu’avez –vous ressenti en découvrant l’exposition ?

Elle est très belle. Cette peinture est tellement puissante que je suis toujours éblouie. Chaque accrochage est une découverte.

L’art comme thérapie

Dans une interview avec Philippe Piguet Jacques Monory, comme Jean-Marc Salomon qui est de l’autre côté du pinceau, affirme que l’art est une thérapie.

C’est souvent le cas pour les artistes et réellement pour Jacques. Ce n’est pas un cliché. Prenez ce tableau, Meurtre N°1, c’est une thérapie. Il effectue en 67 un voyage à Cuba avec différents artistes, écrivains. Fidel Castro les a invités. Sa femme l’a quitté pendant ce séjour à La Havane. Il l’a appris à son retour. Ça a été une déchirure. D’où cette rue de La Havane. Une main de femme, un revolver, des balles qui déchirent le cadre et lui qui les prend dans le ventre. La série commence comme ça. Elle comporte plusieurs numéros dont certaines œuvres avec une partie en miroir.

Thérapie collective

C’est alors lui qui tire au revolver. Ce sont les gens qui regardent le tableau qui sont impactés. Les impacts dans le miroir font que nous, spectateurs, sommes touchés. Dans Meurtre N° 1, les balles déchirent ce moment vécu à La Havane. À la fin de cette série intitulée Meurtres, Jacques était sauvé. On revient à l’idée que l’art est une thérapie. Il s’échappait. Il n’était pas mort.

Rouge de Plomb (criblé?)

Memento mori

On retrouve des crânes, des trophées ici ou là dans les tableaux. La notion de Vanité, de « Memento mori » est très présente.

Ceci renforce effectivement ce que nous disions de l’effet thérapeutique de l’art. Je reviens aux impressions que me procure chaque exposition. Il s’en dégage une musique qui vient des œuvres choisies, le plus souvent en accord avec moi, de leur disposition. Le commissaire a chaque fois une idée de l’installation dans l’espace. Là, c’est en l’occurrence Claudine et Jean-Marc Salomon.

Quand on découvre les œuvres, une impression générale s’en dégage. Cette puissance que vous évoquez. On se rend compte ensuite qu’elles fourmillent de détails.

Je manipule beaucoup ces images sur ordinateur mais, effectivement, à les voir exposées je re-découvre des choses. C’est incroyable et surprenant.

L’avis de Xavier Chevalier, qui a réalisé l’accrochage de l’exposition Jacques Monory

Meurtre N°1 est une œuvre historique importante prêtée par le musée de Saint-Étienne. Elle entame une série dans laquelle on retrouve Jacques Monory. Il se met en scène. C’est une narration, un polar, l’arrêt sur image d’un scénario. L’ensemble s’inscrit dans un paysage : montagne, route…un peu à la beat generation. L’esprit aventurier, un peu rebelle, killer t’emmène dans un paysage, dans une logique quasi romantique de film. On a décidé de baisser un peu le niveau de lumière pour cette expo et de retrouver une ambiance nocturne. Une immersion.

 » Danser sous la pluie »

Aucune des œuvres exposées ici ne l’était à Alex, sauf  Spéciale n°17, La Montagne Le Parmelan, vue d’Alex réalisée en 2004, justement à l’occasion de sa précédente exposition.[Le Memento mori est ici un encart, dans le haut du tableau, représentant la photo de Fortino Samano prise en 1917 au Mexique. Celui-ci va être fusillé quelques instants plus tard. En toute décontraction, il fume et sourit. On se rappelle Sénèque « La vie, ce n’est pas d’attendre que l’orage passe, c’est d’apprendre à danser sous la pluie. » Il semble que Jacques Monory ait été un excellent danseur !] On considère la peinture de Jacques Monory comme de la figuration narrative. Il n’y a pas de logique narrative entre les œuvres exposées ici mais l’œil et le cerveau établissent naturellement des liens, un fil conducteur qui nous conduit au Last Hope [dont le cadrage décalé évoque la coupure, l’interruption]

De l’importance du détail et de la mise en abyme

L’œil de Talpa et la notion de jeu

À suivre ce fil d’un tableau à l’autre, on voit une réalité décomposée et recomposée en permanence. Dans la structure, la composition et les détails, la façon dont l’œil qui lit naturellement de gauche à droite est parfois forcé de revenir à gauche. Dans la relation de ce qui pourrait relever du fait divers à l’Histoire, à la mythologie. Les lions de Delos, par exemple, semblent nous inviter à franchir une porte à deux battants. Vers une salle de cinéma ? Le chevalier de Dürer devient dans une mise en abyme chevalier des temps modernes au volant d’une voiture de collection en milieu périurbain. Le jeu de la composition nous transforme à l’occasion en voyeurs de nous-mêmes, démultipliant le regard, les angles, la perspective. « Miroir, joli miroir, d’où viendra la mort ? »

Par-delà le bleu, l’inachevé comme espoir

On pourrait n’y voir que du bleu, tellement cette couleur caractérise Jacques Monory. Mais, ces fameux détails nous invitent à rapiécer le réel. Ce bleu tellement puissant, à la réflexion, semble avoir pour rôle principal de laisser place aux touches de blanc. Revenons à Spéciale n°17, de la montagne massive et immobile naît un mouvement foisonnant. En Savoie, la montagne n’a pour utilité que de permettre le mouvement de l’eau, torrents, ruisseaux, lacs… Et à y regarder de près, on peut se demander si la peinture de Jacques Monory  n’est pas un éloge de l’inachevé que l’on retrouve dans ces imperfections volontaires. Coulures, espaces laissés en blanc. Une œuvre parfaite ne laisserait paradoxalement aucun espoir comme une vie est achevée par la mort.

L’art de la conversation par-delà la mort

La véritable puissance de cette peinture ne serait-elle pas la conversation qu’elle établit entre l’artiste et son travail, entre le résultat de celui-ci et le public ? Car celui-ci fait partie intégrante de ce résultat. Il est invité à y participer. Dans L’espace et le regard, Jean Paris se demande, à travers l’étude de certaines œuvres d’art, quelle place elles offrent au spectateur. Celles de Jacques Monory invitent celui-ci dans un jeu permanent entre l’espace extérieur et l’espace intérieur.