Je suis leur silence

Je suis leur silence

21 mars 2025 0 Par Paul Rassat

Eva, docteure en psychiatrie, est obligée de subir un bilan psy parce qu’elle aurait dépassé les bornes. Habituellement le bilan d’une psychanalyse demeure secret. Là, il est étalé au grand jour, d’une page à l’autre et constitue l’axe narratif de Je suis leur silence. De surcroît, Eva est totalement atypique, originale, transgressive, comme on aime à le dire. Rien ne l’arrête, aucune convenance. Si elle entend la voix de son psy, qu’elle bouscule en permanence, est entend aussi les voix de trois femmes de son entourage, décédées mais qui l’accompagnent en permanence. «  Ce ne sont pas des visions, Ok ? Je sais parfaitement faire la différence entre ce qui est réel et ce qui ne l’est pas » soutient Eva .

Le réel ?

Mises en abyme, jeu entre le réel et ce qui ne le serait pas, mort naturelle et criminelle…Jordi Lafebre joue avec toutes les strates du réel et du récit mêlés puisque tout réel est avant tout un récit. Ces strates on les retrouve dans cet exemple : «  C’est une mauvaise idée ! » dit un personnage dans le cœur de l’action. «  C’était une mauvaise idée ? » demande ensuite son psy à Eva qui répond : « Oui, c’était une mauvaise idée. » Et on revient dans l’action. Jordi Lafebre est un artiste du millefeuille narratif et temporel.

À croire qu’il craint de s’ennuyer dans ce monde linéaire et binaire qui soulage de toute réflexion et de tout questionnement existentiel la plupart de nos contemporains. Il lui faut jouer du temps, de la réalité, décomposer pour recomposer : créer.

«  Semer le chaos » ne serait-il pas la clé pour découvrir la vérité ( s’il y en a une) ? Ordre apparent, désordre, nouvel ordre et ainsi de suite. Même la psychanalyse serait trop cartésienne ! Et puis, une dernière pirouette une fois le livre entièrement lu, revenir au titre. Je suis leur silence. Amusez-vous à le faire parler ! Oxymore ? Antiphrase ? Vertige. Comme à regarder le dessin en couverture.