Je suis un ange perdu

Je suis un ange perdu

27 octobre 2025 0 Par Paul Rassat

Avec Je suis un ange perdu Jordi Lafebre livre un album dont la portée dépasse amplement le contenu narratif. Un véritable bonheur alors que tant de BD se limitent de plus en plus à une forme de téléréalité figée, ou à des podcasts dessinés. Le texte qui clôt le livre donne toute sa dimension à celui-ci. Mais il est possible de le lire pour le plaisir, la profondeur de la réflexion et l’humour, que le dessin fait vivre de façon dynamique.

Normalitude ?

Eva enquête sur la disparition d’un jeune joueur de football qui avoue : —«  Je suis juste un peu plus malin que les autres. — Beaucoup plus malin, à en croire tes tests. — Ne le dis à personne, s’il te plaît. Je préfère passer pour quelqu’un de normal. — D’après toi, qu’est-ce qu’une personne normale ? »

L’image et la réalité

Les 3 voix qui accompagnent Eva en permanence donnent chacune un avis différent sur toute situation. Elles créent une lecture plurielle qui questionne encore davantage la notion de normalité. C’est un contre-point au comportement de beaucoup de personnages que croise l’héroïne : policier performant, psychiatre sagace, concierge précis, dirigeant de club de foot étalant sa réussite et son ego. Chacun semble bien dans sa case, dans son rôle. Le jeune footballeur, Joao, donne lui aussi l’image de quelqu’un qui vit dans un univers rangé, ordonné.

Plongée dans la complexité

Mais les choses sont plus complexes, Eva est à la rencontre de toutes les nuances, des subtilités et de la complexité. Ainsi peut-elle évoquer : « une victoire au goût de défaite. » Cette complexité touche à l’extrême avec quelqu’un comme ce Caravaggio, «  honte de la police »  parce qu’il est aussi voyou que ceux qu’il poursuit…mais indispensable à l’enquête. Elle confine à l’absurde sympathique avec ce dialogue : « — Comment on va s’y prendre ? — Aucune idée, c’est le point faible du plan. — On improvisera. »

La réalité est au moins à double sens. La langue aussi ; la garde à vue prend icic tout son sens : elle ne consiste pas seulement à surveiller, mais aussi à protéger. Et il serait possible de conclure avec une citation de Jean Yanne : « La connerie c’est comme le judo ; il faut utiliser la force de l’adversaire. »