Jordi Lafebre
31 mars 2025Jordi Lafebre est l’invité d’honneur de Sevrier BD 2025, en compagnie de Pierre-Henry Gomont. Rencontre avec Jordi, entre dédicace et émission de radio avec KJB dont on taira les accointances avec la convivialité et la fantaisie.
Jordi, avez-vous un cerveau spécial ?
Je pense qu’il a une tendance à la création. J’imagine la créativité comme un muscle. Plus tu le travailles, plus tu le renforces.
Et il tient encore dans la boîte crânienne ?
Oui, j’espère. C’est Pau Casals, le violoncelliste catalan, qui disait : « Il y a une musique qui m’arrive et je la joue. » Ce n’est pas lui qui fait la musique mais la musique qui arrive toute seule. Il la reçoit et il la joue. J’adore cette idée des images qui arrivent.
Pas mal d’artistes disent qu’ils sont comme des antennes.
Tout à fait. Comment ça fonctionne ? Il y a une curiosité qui permet de rester ouvert et disponible. À six, sept ans, je faisais déjà des petits dessins. Je les garde même s’ils ne sont pas terribles, mais ils étonnaient ma famille. Dessiner par terre, c’était déjà recevoir des personnages qui ne m’appartenaient pas. N’importe qui peut être une antenne. Chacun se spécialise dans un truc ou un autre. Pour moi, c’est recevoir des idées.
Bien sûr, mais un réalisateur de film vient de me dire qu’il faut aussi faire quelque chose de ce qu’on reçoit.
La technique se rajoute aux idées. Pour ça, il faut avoir les pieds sur terre. Je trouve comment combiner les idées et la technique dans le meilleur équilibre possible.
En remodelant le temps, les faits, vous donnez exactement la définition de l’œuvre d’art : vous les réassemblez de façon originale, personnelle.
Pour moi, le temps n’est pas linéaire. Notre cerveau le capte comme ça, mais…
Pour les physiciens le temps n’existe pas.
Exactement. C’est notre petit cerveau qui capte le temps de cette façon, mais si on raconte les choses autrement, le cerveau du lecteur les comprend autrement. C’est très intéressant. J’aime cette idée de proposer au lecteur une manière différente de voir les choses.
Et puis vous vous amusez à glisser pas mal de références, comme Zeno qui renvoie à Italo Svevo.
C’est un clin d’œil. On peut lire à différents niveaux. Un lecteur va capter tous les détails, un autre va simplement lire pour s’amuser. Toutes les lectures me conviennent. Je me contente de proposer.
On peut penser aussi à la physique quantique.
Qui m’intéresse.
Elle nous apprend que ce sont les interactions qui prévalent sur les choses ou sur les gens. Et avec votre Eva, on est servi !
Je voulais plonger le lecteur directement à l’intérieur. Ça commence dès la couverture, avec le miroir : c’est ce qu’on verrait si l’on était dans la tête du personnage. On n’est pas le personnage, mais dans la tête du personnage, avec sa subjectivité ; ce qui nous permet de voir les choses d’une certaine façon.
J’arrive à cette perception du monde parce que je suis gaucher contrarié. Et vous, de quoi avez-vous souffert pour voir le monde comme ça ?
Ah, ça, je ne vais pas le partager (grand rire éclatant !). Je garde ça pour moi. Je profite de mes bouquins pour exprimer certaines choses.
Juste après cette conversation à bâtons rompus avec Jordi Lafebre, j’ai eu la chance d’assister à l’émission de radio KJB dont les invités étaient…Jordi Lafebre et Pierre-Henry Gaumont.

Jordi — Pierre-Henry dit qu’il fait des bouquins pour lui. Je fais mes bouquins pour moi mais je sais que des gens vont me lire, j’y suis très attentif. J’essaye de parler aux gens. J’essaye de toujours faire le meilleur bouquin possible. Je suis sûr de ce que je dois faire, mais je ne suis jamais sûr du résultat. Quand je parle de faire le meilleur bouquin, il ne s’agit pas d’une compétition mais d’arriver à son propre sommet. Pour éviter de me perdre en route, j’ai un post-il dans mon bureau qui me dit : « Reviens au personnage. »
Peut-être Jordi répond-il indirectement à la question sur ses secrets lorsqu’il avoue qu’il a eu des difficultés pour apprendre à lire ? Mais il faudrait une Eva Rojas pour enquêter sur le sujet.