Le juge Ti et la quantique

Agréable lecture que celle de ce roman policier : Le juge Ti et le poète révolutionnaire de QIU XIAOLONG. On y lit : « …il [le juge Ti] alluma une bougie, sortit un rouleau de papier sur lequel il avait griffonné en route une liste d’hypothèses et l’étala sur la table. Après avoir entouré quelques noms au pinceau et tenté vainement de dresser entre eux des liens, il mit son ouvrage de côté. » L’action se déroule au 7° siècle mais le juge Ti procède comme on le voit faire dans les films policiers contemporains. Il s’agit d’organiser un tableau de données et de vérifier les liens entre celles-ci. Si les enquêteurs procèdent ainsi, c’est que toute notre vie est une enquête, elle aussi. Elle n’est faite que de liens qui se vérifient ou non.

La réalité et le langage

La réflexion sur la réalité se poursuit. « — Qu’y a-t-il dans un nom ? philosopha l’abbé en levant ses baguettes noires pour inviter son hôte à goûter les plats. Dans le monde de la poussière rouge (la société séculière), il n’y a que des apparences, auxquelles nous donnons tel nom ou tel autre, comme si elles existaient réellement, comme si nous pouvions les saisir… » La conversation part de la nourriture. Les moines servent à leurs visiteurs  des plats végétariens mais sous des noms «  qui servent à éveiller l’imagination culinaire…le menu donne au festin un air plus sophistiqué, plus fastueux….Tenez, prenez donc une tranche d’anguille frite..C’est de l’aubergine. Cuite à la vapeur, séchée, puis frite. On y ajoute de la sauce au poisson et on fait à nouveau frire le tout. On obtient un plat croustillant et goûteux à souhait. »

Le trompe-l’œil

La réalité est souvent un trompe-l’œil et les neurones. «  Dans la cour, un chat à poils longs pourchassait son ombre comme s’il débattait avec lui-même de la différence entre un chat et l’ombre d’un chat. » Un chat comme celui de Schrödinger. La réalité née des relations entre les éléments qui la composent : ne serions-nous pas dans le domaine de la mécanique quantique, cher juge Ti ? Avec un soupçon de Wittgenstein pour le langage ?

Le Tao quantique

Ce qui ressort de l’enquête du juge Ti ? Comme en mécanique quantique, la réalité est différente suivant le point de vue que vous adoptez. Et il arrive qu’à vous en croire le centre vous n’en soyez  qu’un instrument. D’où l’importance de cette morale : « Plus tôt dans son enquête, il [le juge Ti] avait relu les préceptes taoïstes de Tao Te King de Lao-Tseu. «  Ne rien faire, c’est tout faire. » Selon sa propre interprétation, « ne rien faire » signifiait qu’il ne servait à rien de se démener pour accomplir quelque chose dans un but fixé à l’avance. »

La réalité? Une lecture issue de toutes les autres. Elle ne les exclut pas; elle leur est reliée, au contraire. Sans elles, elle n’existerait pas.