« Le rêve du chasseur » du château d’Annecy

« Le rêve du chasseur » du château d’Annecy

5 août 2021 Non Par Paul Rassat

« Le rêve du chasseur » inaugure une nouvelle approche du Musée Château d’Annecy quant à ses collections

Le Musée Château d’Annecy réorganise des salles qui accueilleront des témoignages de l’âge de Bronze et du Néolithique. Ils proviennent de sites palafittiques. Ce sont des habitations lacustres de la préhistoire pour lesquelles le lac d’Annecy est inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO. Le projet scientifique et artistique mené depuis son arrivée par Lionel François consiste à décloisonner les collections d’ethnologie, des beaux arts et d’art contemporain. Ce dernier permet d’apporter un regard  artistique sur l’ensemble des collections scientifiques, historiques…

Un chasseur poète, rêveur et gardien

C’est à ce titre que Kevin Lucbert a réalisé, sur un panneau de plusieurs mètres carrés Le rêve du chasseur. Si l’œuvre ne sera visible qu’à partir de la réouverture des salles en septembre 2021, le public a pu assister à sa réalisation pendant quelques jours. Ce chasseur succède d’une certaine manière aux réalisations de Patricia Cartereau en 2016, de Sun Xun en 2017 et présente la particularité d’illustrer cette nouvelle volonté de décloisonnement. Il sera donc le gardien de ces salles en restauration jusqu’à leur proche réouverture.

Rencontre avec Kevin Lucbert

À voir votre travail, on note un aspect brut, de l’énergie et une dimension d’inachevé, ou plutôt la possibilité pour le spectateur de plonger dans votre œuvre. L’espace n’est pas saturé, il suggère beaucoup d’interprétations et laisse toute liberté en ce sens.

Le projet de wall drawing m’intéresse beaucoup par son aspect spontané, à achever en temps limité. L’œuvre a été réalisée sur 5/6 jours. Il ne s’agissait pas de remplir, de faire un all over de peinture mais de laisser de l’inachevé, de l’esquisse. On peut voir encore les traits du crayon, les repentirs, les endroits où j’ai effacé. J’ai souhaité garder une spontanéité et des espaces à la rêverie.

Onirisme, ombres et réalité…

Le public a pu assister à la réalisation de cette œuvre. Il a beaucoup commenté. Dans la scène centrale on voit une lutte, des personnages-arbres, systèmes sanguins, des bois de cerfs…c’est cette profusion de possibilités et de liens qui relève de l’onirisme dont vous aimez parler ?

Ces « ombres » sont liées très fortement à la nature avec leurs ramifications, leurs bois de cerfs, des branches qui leur sortiraient de la tête et des épaules. Elles sont aussi liées à la psyché du personnage central duquel elles émanent. Elles sont ses ombres et sont reliées à lui : peut-être ses peurs, ses démons intérieurs contre lesquels il doit se battre. Une dimension psychologique, voire psychanalytique,  occupe le tableau.

Avec une touche de psy dans la palette

On rejoint la philosophie avec la caverne de Platon…

Je suis inspiré et fasciné par le travail de Carl Jung et le concept d’ombres qu’il a développé. Je trouvais intéressant d’évoquer cette dimension par l’intermédiaire d’un chasseur du néolithique.

Vous vous transformez souvent en chasseur du néolithique ?

Aussi souvent que je dois lutter contre mes propres ombres, comme tout le monde, je crois.

Les peurs et les angoisses peuvent changer d’expression mais sont présentes sans doute depuis les premiers temps.

Je suis intéressé par cette dimension intemporelle. Ce combat est éternel.

Former des liens qui créent un récit, une carte

Votre véritable objectif semble être de créer des liens. Par les traits concrets, par le mélange de mythologie, de spirituel, de l’infiniment grand et de l’infiniment petit (montagnes présentées comme des cristaux dans une main, grains de sable…).

La dimension narrative est tout le temps présente dans mon travail. Je relie, je crée une narration entre des éléments. Ici le résultat se lit comme une histoire. Quand je fais un dessin j’ai l’idée du 2° à partir de ce premier. Le jeu de séquences est permanent. Je recherchais aussi un aspect « carte du Tendre ». Ces représentations allégoriques du 17° siècle où tout était relié par des réseaux de canaux, de rivières.

On peut dire que c’est une projection de soi sous forme de carte ?

Oui, ça se lit comme une carte. Je voulais aussi éviter l’effet redondant qui aurait consisté à décrire la vie à une certaine époque.

Deux esquisses préparatoires. Au centre l’œuvre exposée

Liberté, imagination, poésie

Vous dites qu’à l’école vous dessiniez plus que vous n’écoutiez. Vous préserviez votre liberté. Vous continuez à utiliser votre liberté d’imagination.

C’est toujours moi à 12/13 ans qui dessine dans les marges de mes cahiers de classe, oui. J’ai toujours gardé cette rêverie. En réalité j’écoutais à ma manière.

La végétation rappelle le Douanier Rousseau et puis l’ensemble renvoie aux Correspondances de Baudelaire :

La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
L’homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l’observent avec des regards familiers…

L’Homme essaye de lire les hiéroglyphes de la nature jusqu’à déchiffrer dans le ciel cette constellation du Chasseur (qui n’existe pas encore !) et cette galaxie qui apparaît opportunément au milieu de la constellation ! [Le rire et l’humour ajoutent à la dimension onirique quelque chose de faussement naïf, une sorte d’immédiateté accessible à tous, quel que soit le niveau d’interprétation de l’œuvre].

À n’y voir que du bleu, on voit autrement

L’utilisation de la couleur bleue, de marque Lascaux, en plus, n’est pas un hasard. Elle revêt tout une symbolique dont parle d’ailleurs Michel Pastoureau.

Le bleu est pour moi la couleur du rêve, de l’eau, de l’inconscient. On pense à L’eau et les rêves de Bachelard. C’est aussi une couleur éminemment spirituelle, psychologique. Le bleu nuit renvoie au ciel étoilé, à l’obscurité de la nuit. Je suis fasciné aussi bien par le bleu du stylo bille que par celui qu’on retrouve dans les peintures du Moyen Âge et des époques suivantes. Par la symbolique du rouge aussi, qu’on retrouve dans les tarots. Je retranscris tout ceci de manière inconsciente.

Un chasseur et un artiste dans leurs éléments

L’inconscient se travaille !

http://www.kevinlucbert.com

http://musees.annecy.fr/

Et toujours l’exposition Michel Ocelot https://talpa-mag.fr/michel-ocelot-artificier-de-limaginaire-exposition/