L’Éditaupe #15 — Du printemps au prime time

L’Éditaupe #15 — Du printemps au prime time

3 mars 2021 Non Par Paul Rassat

Primus tempus, la bonne, la première saison, le printemps ! Et si une hirondelle ne fait pas le printemps, en faut-il deux, combien ? À moins qu’aucune hirondelle ne fasse le printemps sinon la date fixée au 20 mars 2021. L’arrivée du printemps ne dépendrait que du déroulement inexorable du calendrier. Précédé des primevères dont la lumière éclot déjà. Le printemps qui rend primesautier.

Primavera

Botticelli a représenté le printemps avec la même fraîcheur qu’il peignit la Naissance de Vénus. On y voit des jeunes femmes exemptes de rides s’ébattre dans un jardin des Hespérides dont les pommes appellent le péché. Zéphyr souffle divinement à l’oreille de Flore une annonciation de plaisirs partagés.

Le printemps ne tient pas salon cette année

Le Salon de l’Agriculture est annulé ! Chaque année des visiteurs s’y pressent pour permettre à des animaux de voir des humains. On s’épargnera cette année la visite de politiques de tous bords et de tous poils, ras, bouclés, la raie à droite, à gauche ou bien au milieu. Annulée aussi l’élection du plus beau, de la plus belle, de celui ou celle qui roucoule le mieux, le plus longtemps. Le cul des vaches en sera plus reposé.

Printemps et poésie agricole

Leçon très approximative de poésie

Casse-toi, alors, pauvre con

Des années plus tard, la réplique présidentielle claque encore à la manière d’un texte classique, d’un texte de référence dans la mémoire collective des Français. Voici un octosyllabe (presque) exemplaire improvisé, lâché à la volée au Salon de l’Agriculture. La perfection poétique au milieu des vaches.

 Le verbe à l’impératif énonce une sentence indiscutable. La consonne sifflante redoublée claque comme un coup de fouet. Le destinataire est réduit à l’état de pronom personnel, « toi », anonymé, dépouillé de toute personnalité.

Alors tient lieu à la fois d’actualisateur temporel et de connecteur causal, cette double fonction lui conférant une valeur d’absolu. Ce mot nous introduit dans un moment précis, dans une situation donnée, et ouvre en même temps sur une dimension intemporelle, annonçant une sentence implacable.

 La césure intervient après la 5° syllabe, déséquilibrant judicieusement le vers et conférant aux trois derniers pieds finement ciselés le poids d’un jugement sans appel, d’une chute lapidaire et indiscutable : « Pauvre con ! »

 Cette redondance pléonastique touche aux fondements mêmes de la vie.

Une traduction non poétique et forcément approximative de cette image métaphorico-métonymique donnerait : « sale sexe féminin misérable ». L’étymologie du mot con nous renvoie en effet au latin cunus désignant le plus vulgairement possible le sexe de la femme. L’épithète pauvre revêt une double signification. Il évoque premièrement le sexe faible, en opposition à l’image de l’énonciateur Président.L’opinion publique associe volontiers celui-ci à un pouvoir d’achat dressé vers le haut, viril, dans une érection perpétuelle et riche de promesses. La deuxième connotation suggère le manque d’argent, tare suprême qui de nos jours interdit toute reconnaissance sociale à celui qui en souffre, réduit alors à l’état de chiffre, de statistique.

À la métonymie, qui désigne une personne par une partie du corps et qui constitue une contraction de son être, une régression vers le sexe, s’ajoute la féminisation de l’individu interpellé puisque celui-ci est réduit à un sexe féminin.

Notons enfin que le vers s’ouvre sur des voyelles sonores, retentissantes, pour se clore sur une diphtongue fermée, accusatrice, sans issue.

Sens, rythme, sonorités, expressivité, connotations, force de l’image, tout confère à cet octosyllabe les qualités d’un vers parfait.

Vive le Président Poète !

À noter que la diérèse, qui consiste à allonger d’une syllabe la prononciation, fait partie de l’élocution sarkozienne, tout comme la synérèse qui permet d’avaler, de gommer, de bouffer un son, une syllabe, une négation. Même en poésie, il est possible de faire plus avec moins, moins avec plus, de faire coller la réalité au discours ou l’inverse.

Du printemps au prime time

Et c’est ainsi que nous passons sans transition du premier temps au temps qui prime, le prime time. La déclaration de notre Président fit en effet le tour des JT, des JR (journaux radiophoniques). Et puis, les premiers devenant les derniers, les scoops, sensations et nouvelles impactantes des prime time tombent dans l’oubli.

Dialogue de taupes

— Odeurs de fleurs, de chlorophylle.

— Oui, ça sent le printemps.

— Dépêchons-nous d’en profiter ! Début officiel de 20 mars, heure d’été le 28. Ça ne laisse qu’une semaine. — Le printemps est dans le calendrier, cours-y vite, cours-y vite…