Légendes botaniques au Château de Menthon

Légendes botaniques au Château de Menthon

3 juin 2023 Non Par Paul Rassat

Depuis quelques années déjà, le Château de Menthon organise des saisons artistiques et culturelles. Expositions, théâtre, conférences, événements littéraires animent le lieu, font vibrer les vieux murs qui recèlent des trésors. Parmi ceux-ci, un herbier qui a inspiré Alexia Delrieu et Raphaële de Broissia, les deux artistes commissaires de cette exposition. L’herbier en question leur a même soufflé ce thème, Légendes botaniques. Le Château de Menthon fait renaître ses vignes. Son jardin en permaculture est un modèle…de jardin, mais aussi d’organisation sociale, une métaphore inspirante de la vie en société.  Et puis, avec l’herbier et le jardin rejoignant tous deux la botanique, il y a enfin de quoi réconcilier Voltaire et Rousseau ! Cet article est une déambulation libre inspirée par l’exposition. Il ne se veut pas exhaustif. Alors, allez donc sur place enrichir votre imagination et créer vos propres légendes botaniques et personnelles.

La gargouille du bassin, d’Alexia Delrieu

La famille de Menthon va chercher dans son passé matière à faire vivre le présent. René de Menthon a vécu au XIX ème siècle. Artiste, botaniste, architecte, il a énormément transformé le château dans l’esprit de Viollet le Duc, grande mode de l’époque. De grands artistes ont participé à cette création originale. On en découvre des détails  un peu partout, dans les gargouilles en particulier. D’où l’idée de créer une gargouille contemporaine qui, elle, surgit, du bassin situé dans la cour du château. Une sorte de gentil monstre du Loch Ness emprisonné dans le lac d’Annecy. Un autre monstre lui fait écho à l’entrée du château. Lion, griffon, cyclope, il veille sur l’exposition.

Une chapelle d’étoiles par Manuela Zervudachi

« On a découvert en 2014 un énorme amas de galaxies. À l’époque, Hubert Reeves disait que nous sommes poussières d’étoiles. La vie sur terre provient de ces explosions d’étoiles. Fleurs, étoiles, c’est un peu la même chose, tout est lié. Dans cette chapelle je voulais installer quelque chose de « l’au-delà »qui vient occuper cet espace magique. Mes fleurs / étoiles sont en résine. Celle que j’ai installée sur l’autel est en aluminium. De la terre viennent les pierres précieuses, les métaux. Ils y retournent et en ressurgissent. C’est un peu le retour à la source, à l’origine. »

Dans la cuisine de Régis Perray

« Dans notre pays, nous avons de grandes traditions d’assiettes, notamment d’assiettes fleuries. Ma collection en compte plus de cinq mille qui, pour une précédente exposition, formait un immense jardin fleuri, au sol. Ce coin de cuisine, occupé par un très bel évier m’a évidemment obligé à y exposer quelques assiettes. Du Vallauris, de l’assiette anglaise, du Giens, des assiettes de Bretagne. » Un aspirafleurs et un nain de jardin muni d’un balai complètent ces installations. Détournement, récupération, gag poétique…tout concourt à la création. Même la panne.

Cuisiner le temps, par Douce d’Ivry

La cuisine accueille aussi des photos, dont des représentations d’escargots qui ont posé sans le savoir et que l’artiste a esthétiquement cuisinés. Douce d’Ivry fait ainsi l’éloge de la lenteur.

Champ, contre champ avec Étienne de Fleurieu

Deux dessins se tournant le dos, qu’un mur sépare. L’artiste a utilisé la paume de sa main, les lignes qu’elle dessine, comme matrice unique qui permette de réaliser par juxtapositions l’ensemble des dessins ! Le dessin vu comme un jeu de paume!

Portraits d’oiseaux par Aurore d’Estaing

Plus de neuf mille espèces d’oiseaux ! Trente pour cent ont déjà disparu. D’où cette galerie de portraits. Fixer ce qu’on ne perçoit que dans l’instantané d’un chant, d’un envol. Des tapisseries mille fleurs fixent, elles, l’instant magique et très furtif où dans la nature on aperçoit un animal.

 Sheila Hicks comme Rimbaud

« Être exposée ici, c’est comme gagner à la loterie, tomber en parachute dans le domaine du château ! Dans les « boules » exposées, qui ressemblent davantage à des coussins, il y a des trésors. Des secrets de famille qui peuvent être montrés dans des musées, dans des galeries. On demande souvent ce qu’il y a dedans. Ce sont des secrets bien gardés, découverts par l’artiste, ou bien qu’on lui confie. En écoutant de la musique, elle rêve, elle s’amuse et elle enveloppe. Chaque fois différemment. Deux cents œuvres uniques, avec certificat d’authenticité. «  C’est un peu ridicule, non ? » demande l’artiste. Un jour, une dame est venue me voir avec une vingtaine de cravates de son mari décédé. Chacune était liée à un concert, à un anniversaire…Je livre cette histoire et je l’en délivre parce que sinon…qu’en aurait-elle fait ? Il faut transformer mais garder. Ne pas oublier. » L’œuvre Gabriel reaching to heaven, présentée comme un totem, relèverait aussi du mât de bateau. Une sorte de voilier immobile, arrimé au temps, entre ciel et lac. Sheila Hicks évoque souvent les douanes et les passeports dans ses propos. Parce qu’elle se sent avant tout citoyenne du monde. Pourquoi Rimbaud ? Pour Le buffet.

Stéphane Spach, le jardin infini

Le travail au couteau de la matière prise en photo. Deux esquisses de fleurs de part et d’autre d’un Christ en croix. Les larrons ? Une grande photo dont l’impression rappelle la peinture. Saisissant parce l’image n’est pas dans le papier mais à l’extérieur car il s’agit d’un pigment particulier. Ce jeu est encore plus marqué grâce au sujet représenté, un jardin qui, d’après l’artiste n’existe plus en l’état. L’œuvre fait partie de la série «  Un dernier jardin ». Ce moment où le jardinier vient couper les dernières fleurs avant que la saison ne bascule. C’est ce que les Japonais nomment le wabi sabi. Il y a là un peu de l’éternel retour, une forme de mélancolie. La nostalgie du premier jardin, le paradis ?

À la collecte, Sarah Battaglia

Restes, ossements mènent à des formes hybrides. Ici, des pattes de corneilles qui forment un tableau de clés. (Barbe Bleue aurait-il habité le château ?) Installée à côté Toucher-voir fond les sensations et rejoint les approches animistes de Sarah.

Histoires de lits, par Raphaële de Broissia

Parer les lits de leur histoire, de l’intime à l’Histoire, tel est le minutieux travail de Raphaële qui parvient même à faire émerger une histoire secrète. L’artiste brode sans broder. L’Histoire lui fait narration.

Céramiques par Alain Cervantes

C’est le collectionneur Alain Cervantes qui présente les réalisations de Claire Lindner et de Georges Yassef. Toutes céramique mais tellement diverses ! Leur force brute, évidente, tranchante donne aux œuvres de Yassef une qualité première, primitive. On retrouvera Alain Cervantes au château de Menthon cet automne. Il y exposera d’autres œuvres de sa collection. Talpa lui consacrera un article entre temps.