L’Enfer à portée de main !

L’Enfer à portée de main !

10 janvier 2025 0 Par Paul Rassat

Paul & Gaëtan Brizzi  ont adapté l’Enfer, de Dante, en album graphique. Talpa place une virgule entre les mots Enfer et Dante. On pourrait croire sinon qu’il s’agit d’un enfer vécu par Dante plutôt qu’une œuvre littéraire de renommée mondiale mais que peu ont lue. Référons-nous ici à l’indispensable livre de Pierre Bayard Comment parler des livres que l’on n’a pas lus ? Le mérite de Paul & Gaëtan est grand : ils ont lu Dante, en ont tiré la substantifique moelle afin de la rendre digeste et de la vulgariser. L’Enfer à portée de tous ! Le véritable enfer, ce sont les élèves et les étudiants italiens qui le subissent à lire cette œuvre ennuyeuse alourdie par une symbolique pesante. L’Enfer fait partie de La divine Comédie et nous savons ainsi que, comme dans toute comédie, même si ça commence mal, ça finit bien.

De l’ennui au plaisir

À l’article de la mort, le poète Lope de Vega fait une confidence à son médecin : « Eh ! bien Dante m’emmerde et m’a toujours emmerdé ! » Et l’immense poète peut enfin mourir soulagé. Les puristes jugeront que le travail de Paul & Gaëtan Brizzi prend des libertés avec l’œuvre de Dante. Pourquoi pas s’il la rend accessible et n’en trahit pas l’esprit? C’est le problème de toute adaptation. La qualité de celle-ci repose sur le dessin qui n’est pas une illustration ( le travail de Gustave Doré fait référence en la matière), il fait vivre le texte, le porte. Le lecteur navigue ainsi dans un monde particulier, entre rêve, éveil et sommeil habité de brume.

Selfie ?

La poésie s’exprime autant par le texte que par le dessin. On croise « les étranges reflets d’un lac d’inquiétude ». Dante aurait-il inventé le précurseur du selfie ? L’album montre nos deux héros comme dédoublés sur deux niveaux de dessins occupant la même page, leur permettant d’apercevoir leur propre image dans une mise en abyme graphique et introspective.

Proximité épique

On navigue entre une proximité étonnante et la dimension épique. Au milieu de ruines impressionnantes, le lecteur aperçoit Aristote, Socrate, Platon, Diogène, Épicure, plus loin le Minotaure. Même le bruit des portes de l’Enfer donne un «  BOOMMM » à la fois familier et retentissant. En tournant les pages du livre on se dit que l’on a passé l’impressionnant Lasciate ogni speranza voi ch entrate.

Jeu de miroirs

À la mise en abyme déjà évoquée, aux jeux de miroirs, les auteurs ajoutent une touche d’humour et d’autodérision. La page 101 en est l’exemple : Ha, ha, ha, si tu te voyais ! Tout ceci n’est-il qu’un jeu puisque nos personnages vont rencontrer Lucifer avant le retour à la lumière ! Dante nous aurait-il bernés ? Sa recherche de salut ne servirait-elle pas d’abord à le tirer de nombreux faux pas et démêlés avec les papes de son époque ? Quant à la vertueuse fidélité qui le relierait à Béatrice, quelques doutes fondés sont permis.

Quoi qu’il en soit, un séjour dans cet Enfer vaut le voyage littéraire et graphique. Pourquoi ne pas traduire aussi de cette manière les programmes électoraux indigestes ? L’enfer politique deviendrait plus intelligible et digeste.

L’Enfer et le tapis vert

On notera le soin apporté aux auteurs jusque dans le choix de la couleur verte pour les premières et dernières pages du livre. Chez Dante, le vert symbolise la promesse du salut. Mais pour Michel Pastoureau le vert est «  tout ce qui bouge, change, varie. Le vert est la couleur du hasard, du jeu, du destin, du sort, de la chance… » Dante joueur ?

Lecture recommandée par BD Fugue Annecy.