Nouvelles en trois lignes

Félix Fénéon tint la rubrique des Nouvelles en trois lignes au début du XX° siècle. Sa plume resserre les faits qui s’entrechoquent dans une formulation minimaliste. Le résultat ? Absurde, cynique, la vie à cru dans toutes ses contradictions. Explosée. Il partage l’esprit d’Alphonse Allais et de Jarry. Le patronyme, la profession, le titre, le lieu forment le contexte. Souvent l’emploi du passé simple situe le fait divers hors du temps. Au, plutôt, il le tire du quotidien sordide pour l’élever à la littérature.

— À toute force, le comte de Malartic voulait suspendre Dieu dans l’école d’Yville (S.-L). Maire, on l’a suspendu lui-même.

— Derrière un cercueil, Mangin, de Verdun, cheminait. Il n’atteignit pas, ce jour-là, le cimetière. La mort le surprit en route.

— Plage Sainte-Anne (Finistère), deux baigneurs se noyaient. Un baigneur s’élança. De sorte que M. Étienne dut sauver trois personnes.

— « Aïe ! » cria le rusé mangeur d’huîtres, une perle ! Un voisin de table l’acheta 100 francs. Prix : 30 sous au bazar de Maisons-Laffitte.

— Les grévistes de Ronchamp (Haute-Saône)ont jeté à l’eau un ouvrier qui s’entêtait à travailler.

— Pour gagner plus et faire reconnaître leur syndicat, les asphaltiers de Lovagny (Haute-Savoie)chôment ; le juge de paix parlemente.

— Dormir en wagon fut mortel à M. Émile Moutin, de Marseille. Il était appuyé contre la portière ; elle s’ouvrit, il tomba.

— La fourche en l’air, les Masson rentraient à Marinviller ( Meurthe-et-Moselle). Le tonnerre tua l’homme et presque la femme.

— Catherine Rosello,de Toulon, mère de quatre enfants, voulut éviter un train de marchandises. Un train de voyageurs l’écrasa.

— L’Escargot, la Violette et Picasse ont été arrêtés à la gare de Saint-Jean(Bordeaux). Des écumeurs de trains, paraît-il.

— En huit jours, second cas de bigamie constaté à Toulon : il s’agit de la femme d’un ouvrier devenue celle d’un premier-maître.

— Courbée pour sulfater sa vigne, une Beaunoise a reçu dans les reins une balle de son beau-frère Gauthey, 60 ans pourtant.

— Île de la Grande-Jatte, une discussion des ouvriers Werck et Pigot a fini par trois balles que tira celui-ci et que reçut celui-là.

— Un lasso à la main et ululant, Kieffer, de Montreuil, en deux ans interné trois fois, galopait. On perdit sa trace. Il sera pendu.

— Le revêche tribunal de Constantine envoie en correction un faune de 14 ans, qui,deforce,aima une très antique Maltaise.

— La Verbeau atteignit bien, au sein, Marie Champion, mais se brûla l’œil, car le bol de vitriol n’est pas une arme précise.

— Sur Bécu, 28 ans, qui arrivait à Beaujon troué d’une balle, on compta 28 cicatrices. Son nom dans le monde qui rôde : La Cible.

— D’avoir bu une fiole de vitriol, Marcel Portamène, de Saint-Maur, meurt à trois ans ; ses parents se promenaient dans leur jardin.

— Trois ans, c’est l’âge d’Odette Hautoy, de Roissy. Néanmoins, L. Marc, qui a trente ans, n’a pas trouvé qu’elle fût trop jeune.

— Tout le plomb destiné par M. Pregnart aux perdreaux des Alluets-le-Roi, c’est son ami Claret qui le reçut dans la croupe.

— Un bœuf furieux traînait par la longe vers Poissy le cow-boy Bouyoux. Elle cassa. Alors ce bœuf démonta le cycliste Gervet.

— Mme Lesbos a été écrasée par un char de touristes attelé de six chevaux. Cela à Versailles.

— Des grenouilles, prises aux étangs belges par la tempête, sont tombées en pluie à Dunkerque sur le quartier des rues chaudes.

— Jour d’émotions douces à Saint-Maurice : le matin, on couronna la rosière (Calot) ; l’après-midi, on pêcha(concours)dans le canal.

— Courses de Khenchela, un jockey kabyle a culbuté(fracture du crâne)le jockey Rouvier, à l’indignation des burnous sportifs.

— Des gens ont la passion des fils téléphoniques. Ils en ont encore pris 900 mètres à Gargan et 1.500 entre Épinay et Argenteuil.

— Congédié mardi par son patron, le 13-ans Godillot, de Bagnolet, n’aura pas oser reparaître au logis. Enfant, rentre : on t’y attend.

— Cet an-ci, les vendangeurs sont bien belliqueux. L’un d’eux, à Romanée, vient encore d’en tuer un autre, Cordonnier.

— Réveillé par la sonnerie de son poulailler, le féroce Dumont, de la Briche, tira. Les maraudeurs laissèrent une piste de sang.

— Comment fumer ? Après les pipiers de Saint-Claude, voici en grève les papier-à-cigarettiers de Saint-Girons.

— Le journalier manceau Jubert avoue avoir souvent substitué à sa femme sa fille Valentine qui a 14 ans et en avait 8 au début.

Œuvres de Félix Vallotton

— Calen, détenu à la prison de Thouars, que venait de manquer la sentinelle, s’est tué en tombant sur des rochers. Il s’évadait.

— Rentrant au logis, le laboureur Vauthier, de la Chapelle-au-Bois(Vosges),y trouva sa femme ivre et vertueusement l’étrangla.

— À grand’peine mata-t-on Bourlont et Vastelot qui brisaient les devantures et molestaient les citoyens dans Charenton.

— Le tronc de saint Antoine de Padoue a été fracturé dans Saint-Germain-l’Auxerrois. Le saint recherche son cambrioleur.

— Les Blonquet suaient l’alcool. Un cabaretier de Saint-Maur osa leur refuser à boire. Ils le frappèrent d’un poignard indigné.