Opération Copperhead de Jean Harambat

Opération Copperhead de Jean Harambat

27 janvier 2023 Non Par Paul Rassat

Opération Copperhead est un livre brillant, aussi léger que profond. Habité par l’esprit. C’est-à-dire que la véritable pensée en imprègne les personnages dans une liberté presque inconcevable pour notre époque qui se voudrait si profonde mais se contente de flotter sur une armature de valeurs, de concepts, de réglementations, de recommandations. L’intrigue de Copperhead ? L’utilisation d’un sosie  pour incarner Montgomery, Monty, et berner les Allemands. Rencontre avec Thierry, de BD Fugue Annecy, pour évoquer cet album.

Le réel est-il simple ?

Est-il possible de parler de ce livre en faisant simple ?

Simple ? Non. Le sujet est la dissimulation, une forme d’art. Le grand fil rouge de la deuxième guerre mondiale, des puissances opposées, consistait à avoir un coup d’avance. Il fallait faire croire à l’autre qu’on allait faire ci mais pas ça. Le codage y a participé de façon importante, avec la machine Enigma, par exemple. Les faux chars en plastique, les faux avions…

L’Opération Fortitude.

Tout ce qui était possible avec la technologie moderne. C’est aussi une définition de l’art, du théâtre, qui consiste à faire croire que ce que nous voyons est réel. Les sentiments ne sont pas éprouvés, ils sont montrés, fabriqués.

La griffe de Talpa

[Point fondamental que Talpa souligne régulièrement. La bienveillance, l’empathie, les « valeurs » s’imposent tellement dans le discours qu’elles semblent plus fabriquées que réellement vécues. Elles font décor. De la même manière, « on fait société » un peu comme on ferait caca, par fonctionnement organique plus que par lucidité]

Un livre joyeux

Est-ce que ce n’est pas le propre de la vie en général ?

« La vie est un misérable petit tas de secrets », ce n’est pas de moi. La dissimulation, le trompe-l’œil sont inhérents à la nature humaine.

Le livre présente d’incessantes passerelles entre le théâtre, le cinéma, l’espionnage, la politique, la guerre. Tout est joyeusement entremêlé.

Joyeusement. Dans ce livre, j’adore la mise à distance ironique. L’élégance de l’esprit, la magie du verbe, l’humour anglo-saxon. Je pense que le livre est le reflet exact de la personnalité de David Niven et de Peter Ustinov. Citer un film avec David Niven ? La panthère rose ! Ne serait-ce que pour le générique.  Dans le livre, l’approche graphique de Jean Harambat est pimpante, faussement naïve, charmante, caricaturale et en même temps ressemblante.

Armes secrètes, enfumage…

On est dans l’intrigue, dans l’Histoire, dans l’histoire, dans la réalité et dans la fiction réelle…

Je pense aux armes secrètes qu’Hitler évoque dans un discours, les wunderwaffen. Le V1 et le V2 sont les plus connues. Mais il y avait les premiers avions à réaction…Pour beaucoup, armes secrètes = armes allemandes. Mais les Anglais en ont produit beaucoup. L’histoire des chars gonflables est une preuve de l’humour anglo-saxon en la matière. Les savants recrutés au Bletchley Park étaient d’abord d’excellents cruciverbistes.

De la fantaisie à la technocratie

Puisqu’il est question d’armes secrètes, il semble que l’alcool en ait fait partie.

Churchill réunissait régulièrement des gens atypiques pour apporter l’imagination nécessaire à sa stratégie. Les Américains, eux, avaient fait appel à des scénaristes pour envisager les développements possibles de la guerre. Comme quoi les artistes avaient leur mot à dire.

La comparaison avec notre époque laisse penser qu’on manque terriblement d’humour dans la politique, l’économie.

Il y avait peut-être autrefois des personnalités plus atypiques, brillantes, hors des clous. On a basculé dans un monde de technocrates ou d’imbéciles dangereux.

Je et jeu

Au moment où il donne son accord pour lancer l’Opération Copperhead parce que la ressemblance entre son sosie et Monty est convaincante, Churchill est en pleins champs. Il peint une vache ! Et, chose parfaitement moderne, David Niven voulant embrasser Vera lui en demande  l’autorisation. C’est le consentement exigé aujourd’hui. Ceci dit, il l’a embrassée mais c’est elle qui l’a baisé puisqu’elle espionnait pour l’ennemi.

Niven confondait peut-être sa vie avec ses rôles. À force d’interpréter des personnages brillants, élégants, très bien élevés.

Finalement, est-ce qu’on joue ? Et quoi ?

C’est un peu l’effet Vache qui rit. Le JEU est le mot suprême. Jouer, c’est interpréter, mais c’est aussi jouer avec le temps, avec les apparences, la réalité.

Puisque l’on ne sait jamais totalement qui l’on est, on ne peut qu’interpréter ?

« Je est un autre. »

L’esprit du livre

Quelques citations pour donner le ton. « L’absence de système est aussi un système. » «  Il y a des centaines de façons de tomber dans un piège…mais une seule de s’asseoir. » « Comment une femme comme vous fait-elle pour être une femme comme vous ? »  «  —Il paraît que vous aviez demandé à servir dans les tanks !…— Je voulais partir à la guerre assis. » Churchill « La guerre, c’est comme le potager, il faut ruser avec les éléments pour tromper les étourneaux, les corneilles, les gros-becs… la vérité est une chose si précieuse qu’il faut la garder dans une forteresse de mensonges. »  « James, qui avait joué Monty se jouait lui-même jouant Monty et jouait en même temps l’homme qu’il avait incarné… »

Et un peu de littérature !

L’endroit, l’envers, la première ou la dernière page du journal, mises en abyme…Le mouvement est permanent. Et nous renvoie vers l’art.  « Si j’estois du mestier, je naturaliserois l’art, autant comme ils artialisent la nature » écrivait Montaigne. Et nous retrouvons Cummings dont le recueil Tulipes et cheminées servit de clé de codage allemand pendant la guerre !