Pascal Nordmann, Oulipien, poète et amoureux de la langue

Pascal Nordmann, Oulipien, poète et amoureux de la langue

13 avril 2024 0 Par Paul Rassat

Écrivain, homme de théâtre, penseur tous azimuts, Pascal Nordmann présentait  le 10 avril son livre Samuel Jones à la Librairie-Café Les Recyclables, à Genève. Un bref échange permit de ne classer l’auteur dans aucune case. Ouf !

« Mathématicien du doute, le vide, la défaite », vous n’êtes pas vraiment partisan de l’ordre.

Non, mais il faut construire de l’ordre et pour cela il faut commencer par accepter le chaos. Sinon vous construirez un ordre totalitaire, de conformisme, ce qui ne marche jamais. Les personnes qui ne trouvent pas leur propre ordre sont malheureuses, d’où un désastre dangereux pour elles et pour autrui comme on dit sur les paquets de cigarettes.

La nécessité

Mathématicien du doute pourrait passer pour un oxymore, une contradiction.

Non, pourquoi ? La base de la science est bien le doute. Mais on pourrait discuter : la mathématique est-elle une science ? Il est certain qu’elle est un langage, ce que je connais un peu en tant qu’écrivain.

Comment définiriez-vous votre trajectoire ?

La nécessité d’écrire vient avec celle de se construire. Ce livre est le résultat d’un très long travail. Je travaille d’ailleurs en ce moment à un livre que j’ai commencé au siècle précédent.

Ce qui ne fait que vingt-quatre ans !

Alors disons au millénaire précédent ! (rires). La nécessité de se construire est permanente. On peut le faire avec la mécanique automobile ; mon outil est la littérature. Peut-on dire, à un certain moment, qu’on est construit ? La vie vous propose toujours de nouvelles circonstances, ne serait-ce que la vieillesse. On est toujours petit face à ce qui vient. Il y a aussi l’amour de la beauté qui s’ajoute  à la nécessité de se construire. J’ai toujours aimé ce qui est beau, équilibré.

Il n’y a pas, en la matière, de recette miracle.

Pour ce que je pratique, la littérature, il y a des recettes. Supprimer tous les et, tous les car, tous les puisque, c’est bien une recette.

Oulipien, Pascal Nordmann?

Vous êtes Oulipien ?

Oui. J’ai même construit un logiciel de littérature automatique. J’ai fait la même chose que Queneau mais en version électronique. Je suis absolument Oulipien mais la suppression des car, et est une histoire de clarté, d’équilibre. L’idée de contrainte, elle, est totalement oulipienne. Quand vous écrivez, vous avez de toute manière des contraintes. Beaucoup d’écrivains primés et célèbres sont Oulipiens sans qu’on le sache.

C’est là que le nom d’un récent prix Goncourt nous échappe car nous ne lisons ni l’un ni l’autre les récents prix Goncourt.

On pense en général que l’Oulipo est un truc très spécial ; ce sont en réalité des gens qui travaillent vraiment sur la matière, sur la langue : ce n’est pas si étrange !

Détruire pour construire

Les contraintes qu’on se donne volontairement deviennent des libertés.

Le chaos que j’évoquais tout à l’heure est une dialectique, entre construction et destruction : l’une implique l’autre. Dans les cas extrêmes il faut détruire pour avancer.

La conversation porte alors sur l’IA. Elle pioche dans la multitude de données dont on la nourrit pour produire un ordre…

Peut-être la langue est-elle une œuvre d’art moins soumise à l’oscillation entre le chaos et l‘ordre, je ne sais pas. Elle pourrait être une sorte d’équilibre démocratique.

Quelques lignes de Samuel Jones

« …une feuille morte descend des cintres…

… dans le cercle restreint des mathématiciens du doute, Strang avait la réputation d’un homme aux mœurs légères, inquiet de conquêtes, allant d’amourette en amourette, semblant ne jamais pouvoir se fixer. Nous cessâmes bien vite de tenir le compte des flammes qui, à une cadence de plus en plus rapide, se succédaient dans son existence. Cette manière de repartir sans fin à l’assaut de la même pente ne rappelle-t-elle pas nos tentatives obstinées, nos mille mouvements, ruses, retraites, louvoiements, attaques frontales, gestes illusoires, tactiques sans lendemain… ? »

À lire intérieurement, à gueuler, à laisser décanter et à reprendre pour le rythme, la musique, la précision. Y revenir. À mettre en relation avec le Samuel Jones Tilden qui fut gouverneur de New York.