Pour une fraction de seconde

Pour une fraction de seconde

30 décembre 2024 0 Par Paul Rassat

Guy Delisle rend hommage à Eadweard  Muybrige dans l’album Pour une fraction de seconde. En réalité, ce livre va bien au-delà d’un hommage à l’obstiné photographe qui passa toute sa vie à poursuivre un objectif apparent qu’il dépassa largement,  faisant toutes sortes de découvertes liées à la capture de l’objectif principal. Eadweard Muybridge bidouilla génialement son matériel photographique, adopta les découvertes de son époque, les améliora. Son ambition : photographier un cheval au galop et montrer qu’une fraction de seconde l’animal était en totale suspension dans l’air. Qu’il ne touchait pas le sol.

Montrer ce qu’on ne peut voir

Outre toutes les améliorations, tous les perfectionnements, toutes les découvertes techniques nécessaires au résultat, il s’agissait de révéler concrètement ce que l’œil humain ne pouvait pas voir. Une réalité aussi contraire à l’évidence que dire que la Terre est ronde, que la Terre tourne autour du soleil et non l’inverse, que le soleil ne se lève ni ne se couche…

Pour une fraction de seconde, album de Guy Delisle.

La réalité ?

Dans Illusion et depiction Olivier Massin aborde la question en philosophe. N’ayons pas peur de simplifier à l’extrême sa réflexion. Le monde tel que nous le percevons et le pensons est constitué d’images. La depiction est l’image brute, coupée de tout sens sémantique. Un peu ce que recherchaient les Surréalistes dans certains travaux. Ce que nous voyons ? Soit le depictum seul, soit la réalité à laquelle il renvoie, soit alternativement l’un ou l’autre, soit les deux en même temps.

Le «  Ceci n’est pas une pipe » de Magritte est un bon exemple. Il est possible de ne voir dans le tableau de l’artiste qu’une représentation, la réalité associée à la représentation, la réalité et la représentation alternativement, les deux en même temps. La notion d’illusion disparaît dans un réseau de relations. Peut-être y a-t-il un intérêt supérieur à voir le monde dans ce tissu de relations plutôt que dans l’un des fils qui participe à le tisser. Savoir qu’il y a un truc dans le tour du prestidigitateur ajoute à l’émerveillement.

« L’homme n’est pas là où il pense »

Le travail de Guy Delisle est du même ordre que celui d’Eadweard Muybridge : il dépasse largement l’objectif apparent. Il est généreux, vivant et ne peut se résumer à un récit, à un cahier des charges. C’est une démarche de l’esprit qui ne peut se réduire à un fil narratif. À lire et à partager pour le bonheur de l’esprit créatif ! En voulant figer le mouvement, Eadweard Muybridge plonge totalement dans son époque. Il réalise l’inverse de ce qu’il croit rechercher. Il n’est que mouvement lié à toute l’histoire de la photographie, à la naissance du cinéma, à l’évolution du chemin de fer. Quand le résultat dépasse l’objectif sous le sabot d’un cheval, quelle envolée!

Album recommandé par BD Fugue Annecy.