Sans

Sans

17 décembre 2025 0 Par Paul Rassat

Dans son livre Ceci n’est pas qu’un tableau Bernard Lahire cite des réflexions publiées sur internet. De la lecture de celles-ci on peut conclure que la culture devient un spectacle sans vie. Nous rejoignons ici Les mots sans les choses d’Éric Chauvier. La culture sans la culture, les mots sans lien à la réalité qu’on nous demande de regarder en face.

La culture sans vie

« En 2012 un collectif anonyme publie, sur le site internet marseillais «  Marseille en guerre ». Un éditorial intitulé «  2013 et le grand bluff culturel ». Les auteurs du texte expliquent que «  dans les pays occidentaux la culture est devenue le mode de gestion et de contrôle spécifique à notre époque ». Ce qui est visé, c’est l’absence de ce qui, au plus près de la vie des habitants, donne forme à l’existence : «  Où sont à présent les mythes et les rêves, où sont les légendes et les contes, où sont les dialectes et les argots, où sont les jeux et les défis, les chants et les danses, tout ce qui donnait effectivement sens à la vie de chacun au sein d’une communauté, tout ce qui introduisait une médiation collective entre l’individu et l’univers au sein des classes laborieuses ?   

  Muséification       

  Ces formes d’expression qui n’appartenaient qu’à la plèbe, et dont nous sommes peu ou prou dépositaires, nous sont hélas impitoyablement arrachées. Elles se retrouvent congelées et stockées comme éléments disparates du patrimoine culturel de l’humanité. Elles finissent tôt ou tard  dans un musée, un festival ou un magazine d’Arte. » La culture est devenue le nom d’un dispositif de gestion et de neutralisation des intensités vécues », une stratégie permettant d’ « activer l’afflux des touristes et des néo-Marseillais » et l’instauration d’un rapport social admirateurs / admirés : « Le dispositif culturel impose […] un regard distancié – en réalité , il nous impose de traverser cet immense hypermarché de produits culturels dans le même état d’absence qui sied à celui qui traverse une galerie commerciale.                   

Distanciation-consommation  

La culture introduit la distance du spectateur en toutes choses. On nous invite à assister à une projection, une performance, une conférence, un événement. La culture transforme les habitants d’une ville en assistance exceptionnelle nous annonce-t-on. Et le lieu de re-assemblement, déserté aussitôt le festival terminé, devra attendre une autre programmation culturelle pour être occupé.

Annecyfication

Le processus décrit à Marseille gagne l’ensemble du pays et au-delà. Le choix même de Mme Rachida Dati comme ministre de la culture l’atteste. La situation d’Annecy aussi. Gentrification du centre ville historique, vitrinisation de la culture entamée par Salvador Garcia. Celui-ci resta aux manettes de Bonlieu Scène Nationale pendant 26 ans. Le temps d’asseoir une vision de la culture assez proche de ce que dénonce le collectif marseillais. La foire de la Saint André plonge ses racines dans cinq siècles d’Histoire. Elle se télescopait le 2 décembre 2025 avec le village de noël. Plus la distanciation évoquée plus haut gagne, plus le vocabulaire meuble le vide. On partage des émotions, on vit une expérience immersive. Jusqu’au prochain événement qui occupera la scène et le badaud venu y assister.  

Le vide qui remplit

Il en est de la culture actuelle comme de la nourriture transformée : elle gave sans apporter de vrais nutriments. Ça sent la truffe? Il n’y a pas de tuber melanosporum mais du parfum de synthèse. La truffe, c’est vous. Les grosses têtes, les grandes gueules, les paroles que vous ne devez pas oublier, les animateurs qui tiennent l’antenne des heures durant vivent le monde à votre place et vous en imposent leur version. Vide.