Silence

Silence

5 mai 2025 0 Par Paul Rassat

Le silence sur Betharram fait maintenant grand bruit. Peu à peu, on parle. Mais il faut un déclencheur. Qui plongera le premier ou la première dans la révélation ? C’est risqué. Vous êtes seul à troubler l’indifférence générale. La situation rappelle Les diablogues de Roland Dubillard.

Le plongeon

« UN et DEUX sont en maillot de bain. Ils s’apprêtent à plonger dans une rivière qu’on ne voit pas.

UN : Un, deux, trois, hop !

DEUX : Voila, ça, c’est bien vous ! vous dites hop ! et puis vous ne sautez pas.

UN : Mais comment donc ! Je n’ai pas sauté, parce que vous ! vous n’avez pas sauté !

DEUX : Comment je n’ai pas sauté ! Bien entendu, que je n’ai pas sauté ! Je n’allais pas sauter tout seul !

UN : Comment, tout seul ! Nous avons dit qu’à : hop, nous plongerions tous les deux ensemble. Si vous ne plongez pas, moi, je ne plonge pas non plus, voilà tout.

DEUX : Alors, si vous ne plongez pas, ne dites pas  » Hop !  » .Parce que quand vous avez dit  » Hop !  » moi, pour un peu, je plongeais. Il s’en est fallu d’un rien. Heureusement que je vous ai regardé.

S’entreregarder en attendant que ça passe

UN : Mais moi aussi, je vous ai regardé ! Et c’est même pour ça que je me suis retenu. J’ai même failli perdre l’équilibre. Si je ne m’étais pas retenu juste à temps, moi je serais dans l’eau en train de patauger, et vous, vous étiez toujours là en train de faire des mouvements pour vous réchauffer.

DEUX : Quel menteur vous faites ! Vous avez dit  » Hop !  » pour que je plonge, mais vous, vous n’aviez pas du tout l’intention de plonger. Ça se voyait bien, que vous n’étiez pas décidé.

UN : J’étais pas décidé parce que je ne veux pas plonger tout seul et que je n’ai pas confiance en vous. Et j’ai eu raison de me méfier, parce qu’enfin quoi ! Avez-vous plongé oui ou non ?… »

Dessin de Roland Topor

Mutisme

Pendant longtemps l’armée fut « la Grande Muette ». L’Éducation nationale n’avait rien à lui envier. Il ne fallait pas faire de vagues ! Comme pour ce petit garçon venu d’une autre ville où toute l’équipe pédagogique de l’école avait décidé de lui faire sauter un niveau de…maternelle. Eh bien, à son arrivée dans une ville lacustre, la personne dirigeant l’école qui l’accueillait décida de lui faire refaire un niveau de maternelle : il était trop en avance ! Contre le dossier pédagogique la décision fut maintenue. Le représentant de l’Académie s’y tint. Il affirma qu’il ne voulait pas créer de « précédent ». Bien plus tard , le jeune homme avoua qu’il avait été maltraité, humilié, battu par son enseignante. Il avait été impossible de le changer d’école: toutes les portes se fermaient. 

En ville, tel commerçant avouait que la même enseignante avait séparé ses jumeaux, les langues se déliaient. Mais lors des réunions de parents d’élèves, tout le monde regardait ailleurs. Celles et ceux de qui les enfants subissaient le même sort trouvaient des solutions en douce, par relation.

Silence

Pourquoi ce silence ? Il fait penser à une situation bien connue. Des prédateurs en petit nombre attaquent un troupeau constitué d’une multitude d’individus. Ils en isolent un, le mettent à mort et s’en nourrissent. Pendant ce temps, les autres regardent, s’éloignent. La plupart du temps, ils laissent faire.

La situation est la même lors de licenciements massifs, lors de fermeture d’entreprises. On regarde la mise à mort à la télé et on reprend un peu de soupe. C’est tombé sur les autres, ouf !

Immobilisme confortable

L’enseignante évoquée plus haut se vantait de tutoyer le maire de la ville. Lors de la conversation pendant laquelle il déclara ne pas vouloir créer de précédent, le représentant de l’Académie portait un polo Lacoste d’un beau bleu. Cela lui donnait cette touche de décontraction sportive qui sied si bien aux grandes décisions. Un polo sans manches pour mieux s’en laver les mains.