Topor jusqu’aux racines
13 mai 2025Les artistes sont présentés comme des plasticiens lorsqu’ils sont peintres ou sculpteurs. Le domaine plastique « est apte à donner ou donne des formes et des volumes une représentation esthétique. » Au 19 ème siècle le plastique était ce«qui ne relève que de l’apparence physique, qui n’est que forme» Cependant l’étymologie montre une polysémie très intéressante : Empr. au lat. plasticus, -a, -um «relatif au modelage». Est-ce la représentation esthétique qui prime, ou bien la possibilité de modeler, de remodeler ce qui pourrait passer pour une évidence mais qui ne l’est pas pour l’artiste ?
Réinventer
Ce faisant, l’artiste ne remodèle pas que la forme et l’esthétique, il réinterprète le sens, en propose de nouveaux. Considérons l’affiche de l’exposition que la Fondation Salomon consacre à Roland Topor. Cet oiseau se transperce le cou d’où ressort sa tête. Il se traverse et en renaît. À la base du dessin, un lézard figure la métamorphose, l’art de se reconstruire. N’est-ce pas l’intention de l’art que de se réinventer en permanence, de renaître en dépassant la « réalité » dans laquelle nous acceptons de baigner ? L’oiseau de Topor est une légende. Son titre « En soi-même »est analyse, introspection, gymnastique psy et intellectuelle.
Invitation polysémique
« Allegro ma non troppo » avec Topor. Création et rythme enlevés mais toujours parlants, interpellant le passant. Chaque œuvre est une conversation de l’artiste avec lui-même, avec la réalité, et une invitation pour le regardeur à plonger dans l’échange. À y être actif parce que l’œuvre est un millefeuille de traits, de couleurs, de sens, de références, de relations concrètes, psychologiques et psychanalytiques. Comment ne pas se sentir convié, pris par l’œil, la polysémie, l’ouverture ?
« Quelqu’un qui rentre dans quelqu’un d’autre »
Dans la préface de Topor Voyageur du livre Philippe Garnier écrit : « À des journalistes qui, en 1992, lui demandaient son thème de prédilection, Roland Topor répondit par cette formule laconique : « Quelqu’un qui rentre dans quelqu’un d’autre. » C’est le travail d’un illustrateur qui rentre dans l’œuvre d’un auteur. Mais aussi un raccourci de l’amour, de la sexualité, de la violence, de l’emprise psychologique, de la manipulation, de la création. Car pour créer il faut savoir rentrer en soi, y trouver l’inspiration, la volonté de réaliser.
Rentrer dans soi
En illustrant les Nouvelles en trois lignes de Félix Fénéon Topor réunissait presque tous ces axes. Le Quatuor d’Alexandrie de Lawrence Durrell développe quatre récits de la même histoire vécue par quatre personnes. Comment mieux rentrer dans la complexité ? La fantaisie de Marcel Aymé fut idéale pour rentrer dans une autre dimension, comme celle de Boris Vian et bien d’autres auteurs. Alice réunit l’étrangeté et la poésie.
Mais cette plongée en soi qui provoque des giclées de rire, d’ironie en même temps que de fantaisie n’est pas simplement de l’ordre de la curiosité. À ce propos, Patrick Declerck cite Nietzsche disant de Shakespeare : « Combien un homme a dû souffrir pour avoir, à ce point, besoin de faire le pitre ! » Faisant le pitre, Topor a fait des œuvres qui nous emmènent jusque dans les racines de l’humanité.
Il y a un autre monde…
« Il y a un autre monde mais il est dans celui-ci » écrit Paul Éluard. C’est ce que reprend Julie Bouvard : « Les chefs-d’œuvre de Topor nous rappellent qu’il y a un autre monde dans ce monde, un autre réel dans le réel. Un réel immatériel et cependant tangible, dont nous n’avons peut-être pas conscience, mais dont nous gardons, confusément, le souvenir. C’est comme un parfum. En regardant ces dessins, nous retrouvons cette part enfouie, censurée de nous-mêmes. Nous frissonnons, nous nous inquiétons…Nous palpitons. Nous respirons. Et notre monde soudain devient plus vaste. »
Transplants
Topor a réalisé des dessins intitulés « TRANSPLANTS ». Il y plonge jusqu’à nos racines. Ailleurs, dans ESPACE TEMPOREL, il prend le mot à la lettre, ou à l’image. Dans d’autres réalisations il se livre à une extension du sens par l’image, ou bien plonge dans l’introspection, dans l’analyse. Il explore toutes les voies, jusqu’au cynisme.





TRANSPLANTS I ET II. ESPACE TEMPOREL. HAPPY END. PAS SI LOIN
« Comme les oiseaux qui marquent leurs territoires par leurs cris, mon repère c’est le rire. » affirmait Roland Topor.

Son œuvre est à la fois évidente, simple et complexe. Chacun s’y retrouvera « En soi-même » , jusqu’aux racines.



Avec une mention spéciale pour l’escargot, symbole de résurrection, de renaissance.