Tout sur l’autisme Asperger grâce à « La différence invisible »
10 juillet 2021La différence invisible de Mlle Caroline et Julie Dachez
Une différence invisible des autres mais qui envahit celle ou celui qui la vit ainsi que tout son univers. Comment qualifier ce livre ? Un témoignage. Un documentaire. Un recueil d’informations. Un livre pédagogique. Un ensemble de pages agréable à lire. Cette différence invisible est l’autisme. L’autisme Asperger en l’occurrence. Celui que porte en elle Julie Dachez. Mademoiselle Caroline était particulièrement bien placée pour mettre en images l’intention de Julie. On la connaît pour son approche psychologique de la vie. Leur collaboration leur a permis de remporter le Prix de la meilleure fiction pour adultes aux « Excellence in Graphic Literature Awards » 2021.
Le ton juste de l’image
Pas évident d’entrer ainsi dans la vie intime et dans le travail d’une personne pour les illustrer et leur apporter de surcroît cette dimension naturelle et vivante. À bonne distance du réalisme trop sec et du voyeurisme larmoyant. Avec ce qu’il faut d’informations qui apparaissent dans le rythme de la mise en scène sans l’alourdir.
Être atypique, quoi de plus normal ?
Le jour où Julie, l’ « héroïne » est enfin reconnue autiste Asperger est vécu comme une sorte de libération parce que tout s’explique. Certains autistes ne le perçoivent pas de cette manière mais comme un handicap. Une différence. Il en va de même pour certains QI élevés (dixit Talpa). D’où l’effet pygmalion. Certains font tout pour cacher leur particularité et se fondre parmi les autres. Se faire oublier. Mais au fond, reconnaître que chacun de nous est atypique, quoi de plus normal ?
Le regard sur la société
Partir de l’autisme Asperger permet de porter un regard pertinent sur notre société. D’une certaine manière, nous rejoignons ainsi le procédé utilisé par Montesquieu dans les Lettres Persanes ou par Voltaire dans Candide ou d’autres écrits. L’étranger, le candide découvrent notre monde et nous en renvoient une image qui nous fait réfléchir, au-delà des évidences, des préjugés, des clichés qui court-circuitent notre pensée habituellement. Les autistes, par exemple, sont hypersensibles. Nous découvrons par leur intermédiaire tout ce qui parasite et envahit notre quotidien en matière de bruit, de lumière trop vive. Nombre de pratiques sociales et apparemment conviviales passent au tamis de l’autisme Asperger par lequel un regard sociologique est porté sur toute la société.
Différences et préjugés
Via l’autisme, La différence invisible dénonce l’indifférence aux autres, la méconnaissance plus ou moins volontaire. Lorsque l’on entend « autisme Asperger » (comme lorsque l’on entend « QI élevé ») on s’attend à rencontrer un personnage de foire capable de vous réciter tout Hugo de mémoire, à calculer des racines carrées. Mais est-ce ce ne sont pas les mêmes simplifications intellectuelles qui opèrent tout au long de nos vies, dans tous les domaines de pensée ? C’est presque un truisme de rappeler ici la phrase de Saint-Exupéry « Celui qui diffère de moi loin de me léser m’enrichit. » Pourquoi ignorer ou gommer nos différences ?
La librairie de Caro
Reste une énigme. L’héroïne de l’album passe à plusieurs reprises devant « La librairie de Caro ». Mademoiselle Caroline nous expliquera ce mystère . En attendant, émettons l’hypothèse que cette librairie est celle de l’attention à l’humain, aux autres. Une porte qui ouvre sur la bienveillance.
Avec aussi le blog de Julie Dachez http://emoiemoietmoi.over-blog.com/
Entretien avec Mademoiselle Caroline
La vraie reconnaissance
La différence invisible est parue en 2016. Les albums continuent de vivre leur vie.
Les miens ne démarrent jamais de façon fulgurante mais ils s’inscrivent dans la durée. Mes premiers albums sont toujours en vente. Le prix que nous avons reçu aux USA me comble de joie parce que je souffre du syndrome de l’imposteur. Toute reconnaissance que je reçois est hyper importante.
On retrouve dans tout votre travail cette dimension psychologique et personnelle. La différence invisible parle de quelqu’un d’autre mais il y a beaucoup de vous dedans.
C’est l’histoire de Julie, bien sûr, mais moi, si je n’ai pas mes antidépresseurs je me suicide, même si ça ne se voit pas du tout.
Ce que traduit le dessin
Effectivement, à chacune de nos rencontres vous êtes souriante.
Mon angoisse apporte beaucoup à mon travail. La différence que vit Julie est invisible pour les autres mais envahissante pour elle. Les choses se jouent à cette frontière.
C’est ce que révèle votre dessin. Comment percevez-vous votre manière de dessiner ?
Elle est imparfaite. Le trait est mou mais c’est la seule façon que j’ai de dessiner. Elle a changé au fil des albums. Je m’applique de moins en moins.
Une expression spontanée
D’où la fluidité, l’élasticité à mi-chemin entre le réalisme et l’esquisse, ce qui colle bien avec vos histoires.
Au début, on me reprochait d’être girly parce que je racontais des histoires de filles. Le point commun de tous les albums de filles était la qualité du dessin, avec le détail de la jupe. Je me suis rendue compte que ça desservait mes histoires. Je m’imposais de faire des croquis, de repasser à l’encre, de colorier. C’était en réalité une perte de temps considérable. Quand j’ai fait Chute libre sur la dépression, je voulais que l’album sorte d’un seul coup. J’avais donc décidé de ne pas passer par des croquis et j’ai gardé ensuite cette façon de procéder. C’est beaucoup mieux.
Le besoin de s’impliquer
Je reviens à l’étiquette albums « girly ». J’y vois plutôt une approche psychologique dont la profondeur peut toucher tout le monde.
Pourtant certains s’arrêtent à l’histoire de filles.
Vous traitez tous vos sujets un peu à la manière d’un journal, non ? D’où cette fluidité déjà évoquée.
Ce n’est pas faux. J’ai tenu mon journal comme n’importe quelle personne. J’ai ensuite tenu un blog quand je suis partie de Paris pour tenir au courant les amis qu’on avait laissés derrière nous. Ma première BD traitait de ma première grossesse. C’était au départ un journal que je tenais pour que mon futur enfant sache ce qui s’était passé pendant les neuf mois précédant sa naissance.
La librairie de Caro
Le journal est aussi une recherche de reconnaissance, par soi-même déjà, éventuellement par les autres s’ils le lisent. Pouvez-vous me dire ce que vient faire là-dedans la librairie de Caro ?
Je n’avais pas préparé de story board. Les choses sont venues au fur et à mesure. J’ai trouvé intéressant de voir quel rôle j’aurais eu moi aussi comme personnage. J’aurais été une commerçante que Julie croise presque tous les jours. Forcément, j’aurais tenu une librairie.
On retrouve ce besoin que vous avez d’ancrer chaque histoire. Dans un précédent album, vous écrivez « Il est 23 heures 48, je termine cette page. » Vous avez besoin d’être bien présente dans le résultat de votre travail.
Je me pose la même question pour la BD que je suis en train de réaliser. J’y place une voix of. On m’a demandé « Qui raconte ? » J’ai répondu « C’est quelqu’un » alors on m’a fait remarquer que c’est moi. Je réfléchis à me représenter dans chaque BD en évitant de me répéter ; de même que j’y insère mon homme. Toutes proportions gardées, je procède un peu comme Hitchock dans ses films. Et puis quand vous lisez mes BD, vous êtes chez moi. Je fais ce que je veux.
Être atypique
Votre personnage à la fois vrai et en partie de fiction, est heureuse à un moment d’être reconnue « atypique ». Nous sommes tous atypiques !
Malheureusement ne société ne fonctionne que sur des normes. Tout du long de sa vie Julie ressent qu’elle n’a pas le droit d’être atypique, d’assumer sa différence. Tout se passe dans le mimétisme, dans le silence. On finit par s’oublier. Les gens à QI élevé trouvent souvent un réconfort dans l’art. Il est possible d’y être original, de donner libre cours à sa différence. On considère d’ailleurs a priori que les artistes sont des gens originaux.
Votre livre est protéiforme. C’est une autobiographie, avec une part de mise en scène, de fiction, un témoignage, un travail d’information, de didactique.
Une tierce personne portant de syndrome d’Asperger nous a mises en relation Julie et moi. Elle en avait marre d’expliquer cette particularité, de voir que l’on considère les autistes Asperger comme des handicapés. Nous avons donc décidé de raconter l’histoire de Julie, ce qu’elle vit au quotidien. Je voulais que l’on comprenne concrètement à quoi ressemble le fait d’être Asperger dans notre société. Nous avons souhaité aussi apporter un côté didactique qui s’ajoute à l’histoire. J’ai moi-même appris beaucoup.
Cet article est dédié à l’école MeeO et à Félicie