Violence fondatrice
21 décembre 2025La société contre l’État Pierre Clastres pose la question de la violence fondatrice.
« Entre Nietzsche, Max Weber…ou l’ethnologie contemporaine, la parenté est plus proche qu’il n’y paraît et les langages diffèrent peu de se dire à partir d’un même fond : la vérité et l’être du pouvoir consistent en la violence et l’on ne peut penser le pouvoir sans son prédicat, la violence. Peut-être en est-il ainsi…Mais il faut précisément s’en assurer et vérifier…si, lorsqu’il n’y a pas coercition ou violence, on ne peut pas parler de pouvoir. »
La violence originelle
La violence serait fondatrice de l’État. Pascal Quignard rappelle qu’elle est fondatrice de la ville. Rome est née d’un meurtre et a prospéré par l’enlèvement et le viol des Sabines. Adam, Ève, le fruit défendu et le paradis perdu, n’est-ce pas une forme de violence ? C’en est à se demander si l’espèce humaine ne peut pas imaginer la vie sans y placer la violence fondatrice à la racine. Peut-être le principal intérêt de la science serait-il de nous convaincre qu’il n’y a pas de péché originel, que notre vie n’a pas de sens préétabli et que c’est à nous de lui en donner un.
Les effets sans la cause
Au fond, les théories comme le créationnisme ne viseraient-elles pas à justifier la violence ? Si elle est l’origine de nos vies, pourquoi ne pas la reproduire ? Culpabilité, dette, pouvoir centralisé, fascisme…Et nous revenons ainsi à la « violence légitime » et à celle qui ne le serait pas. La création d’un État se fait sur la violence. Celle-ci rejaillit sur les citoyens qui, le système étatique montrant les limites de ses bienfaits, commencent à regimber. Peu ou pas entendus, il se retournent contre l’État : violence inadmissible car non légitime ! Ce cercle vicieux conduit au fascisme. L’appel à l’ « ordre » ( voir l’usage que Trump fait de l’ICE et la Garde nationale) constitue souvent une façon de ne pas répondre aux demandes des citoyens. On traite ainsi les effets mais non la cause.
Manip
La manipulation « ultime » consiste à remplacer dans ce processus l’État par l’économie et les lois du marché. Alors les chiffres parlent d’eux-mêmes et il n’est même plus besoin de vision politique, humaniste, morale. On se contente de « regarder la réalité en face ». La dette devient ce « narratif » qui justifie toutes les contraintes sur la majorité au profit d’une minorité. Tout ré-cit est un re-tour par le péché, la dette, le manque de travail des Français qui ne se lèvent pas assez tôt.
Voici à propos des bienfaits d’un lever matinal l’extrait d’une histoire tirée du livre de Jean-Claude Carrière Le cercle des menteurs :
« — Tu devrais te lever de bonne heure, mon fils.
— Et pourquoi, père ?
— Parce que c’est une très bonne habitude. Un jour où je m’étais levé à l’aube, j’ai trouvé un sac d’or sur le chemin.
— Il avait peut-être été perdu la veille au soir ?
— Non, non, dit le père…Sinon je l’aurais remarqué en rentrant.
— Alors, dit Nasreddin, l’homme qui a perdu son or s’était levé encore plus tôt que toi. Tu vois que ce n’est pas bon pour tout le monde , de se lever tôt. »
Étymologiquement la violence est une force qui passe la mesure. Fonder une société sur une transgression de la mesure est-il bien raisonnable ? Quelle violence faut-il déployer par la suite afin de rabouter plus ou moins adroitement la réalité qu’on nous demande de regarder en face alors que nous y sommes déjà plongés et le ressenti que nous en avons ?

